Troubles psychiques et sexualité : appréhender les variations du désir
On le sait bien : en matière de sexualité, il suffit parfois d’une journée stressante, d’une nuit difficile ou d’une mauvaise nouvelle pour que notre désir s’étiole. C’est tout à fait normal. Et souvent, après quelques jours plus calmes, tout revient doucement. Si, avec les années, on comprend que le désir sexuel n’est pas figé, les troubles psychiques peuvent accentuer ces changements parfois brutaux. En particulier quand on prend des traitements : certains antidépresseurs ou anxiolytiques peuvent avoir un impact important sur la libido. Pour toutes ces raisons, chez Plein Espoir, nous pensons qu’il est important d’aborder la question du désir sexuel avec bienveillance. Comment accepter qu’il évolue sans en avoir honte ? Comment en parler avec justesse ? Quelle que soit notre réponse, gardons en tête que même avec des troubles psychiques, il est possible d’avoir une sexualité épanouie. Cela nécessite parfois de repenser son intimité, de prendre le temps de s’écouter, de comprendre ce qui nous fait du bien et d’avoir le courage d’en parler. En tout cas, pour notre bien-être global, ça vaut vraiment le coup de prendre le temps d’essayer.
On croit souvent que quand tout va bien, la sexualité suit. Et c’est souvent vrai : se sentir bien dans sa tête et dans son corps aide à se connecter à l’autre, à soi-même, et permet d’explorer plus facilement ses envies. Mais ce n’est pas toujours aussi simple. La libido ne dépend pas que de notre mental, elle est également influencée par notre santé physique, les hormones, ou encore nos relations. Il arrive donc de traverser des moments paisibles où le désir sexuel est absent. Rien d’alarmant à cela : ces variations sont normales et souvent imprévisibles. Plusieurs formes de désir sexuel cohabitent et sont aujourd’hui mieux reconnues, y compris l’asexualité. En revanche, quand l’esprit est envahi par les tracas du quotidien, par des pensées qui tournent en boucle, c’est plus compliqué. Et si en plus, on doute de soi, de son apparence, qu’on est agité, qu’on a des problèmes de sommeil… comme c’est souvent le cas quand on vit avec des troubles psychiques, alors on peut se couper de son corps et de ses envies. Dans ce genre de situation, il ne faut pas oublier que c’est souvent juste une façon de réagir face à une épreuve.
Désir sexuel et santé mentale : un duo inséparable
À 45 ans, Paul (1) n’avait jamais eu de problèmes de santé mentale, ni de souci avec sa libido. Marié depuis quinze ans et papa de deux jeunes garçons, il menait une vie plutôt calme. Puis, un jour, le boulot a commencé à peser lourd. Trop lourd. Son médecin lui a conseillé de prendre du temps pour lui, mais quand son arrêt de travail s’est terminé, il a fait une crise délirante. Un soir, il n’a pas réussi à allumer son téléphone et il a oublié le prénom de ses enfants. Après trois semaines d’hospitalisation pour burn-out, les psychiatres l’ont mis sous antidépresseurs et anxiolytiques. Il reconnaît que cet accompagnement thérapeutique l’a aidé à être moins stressé et à chasser ses idées noires. En revanche, il a pris beaucoup de poids et a perdu tout désir pour sa femme. « J’ai toujours eu du désir, mais depuis que je prends des médicaments, c’est devenu super rare. Ma libido est à zéro. Déjà que la prise de poids me donne moins confiance en moi, que j’ai envie de me cacher, je vois que ça fait beaucoup de peine à ma compagne. Même si j’essaie de la rassurer, elle croit que c’est de sa faute. Que je l’aime plus. Alors que ça n’a rien à voir », nous explique-t-il.
Ce que décrit Paul n’est pas un cas isolé. Lorsqu’on traverse un moment difficile, il est fréquent de ne plus ressentir de plaisir, d’être tout le temps fatigué et de ne plus avoir de désir sexuel. Si cela est mal vécu pour tout le monde, chez les hommes, s’ajoute souvent la pression de bien faire et de performer. Malheureusement, ce poids peut accentuer les problèmes et augmenter la frustration quand ça ne fonctionne pas. « Quand j'ai perdu mon érection matinale, c'était très dur à accepter. C'était comme si, tout d’un coup, j'étais malade. Que ma vie s'arrêtait là. Je me suis caché plusieurs fois pour pleurer. Mais mon psychiatre m'a expliqué que c'était normal et que ça reviendrait quand on baisserait le traitement et que la crise passerait. Ça m'a un peu soulagé. D’ailleurs, ces derniers jours, je me sens un peu plus joyeux. Même si j’ai pas encore retrouvé de désir pour ma femme, cet apaisement me donne envie d’être plus tendre avec elle : je lui fais des câlins, je lui propose d’aller au restaurant. J’essaie de me rassurer en me disant que c'est déjà un bon début. »
Dans un monde qui valorise la performance, on entend souvent dire que, pour qu’un couple marche, la sexualité doit toujours être au top. Alors, forcément, dès que ça coince un peu, notamment à cause des troubles psy, on se sent en danger, comme si la relation toute entière pouvait s’arrêter. Mais réduire l’intimité conjugale à ce seul aspect, c’est passer à côté de l’essentiel. L’intimité, ce n’est pas que la sexualité, c’est aussi les petits gestes d’attention du quotidien, des fous rires, des sorties qui cassent la routine, ou juste du temps passé à deux. C’est tout ce qui fait qu’on se sent bien, qu’on s’attache, et qu’on a envie de rester ensemble.
Trouver des solutions adaptées
« Je sais bien que l’intimité ce n’est pas que le sexe, mais ça dépend aussi de l’âge qu’on a, des expériences qu’on a vécu... Quand j’ai vu qu’à 27 ans, mon désir avait totalement disparu, c’était très dur », nous confie Bastien. Comme pour Paul, ces troubles psychiques ont commencé après une expérience difficile au travail. Son équilibre psychique s’est ensuite dégradé avec des problèmes d’argent et des tensions avec sa famille. Pendant plusieurs mois, il a perdu le sommeil, les crises d’angoisse sont devenues quotidiennes, et il a commencé à fuir sa copine. Il n’avait plus envie d’elle, plus envie de rien d’ailleurs. Comme beaucoup, Bastien a mis du temps avant de mettre des mots sur ce qu’il traversait. Ce n’est qu’après de longs mois de souffrance qu’il a fini par accepter l’accompagnement thérapeutique.
Dès la première séance, le diagnostic tombe : anxiété généralisée. Sa psy lui propose alors une idée simple pour détendre la situation dans son couple, mais pas évidente à accepter : parler avec sa copine d’une pause temporaire de sexe. L’idée, c’était de lever la pression et la culpabilité qui pesaient sur lui. Elle lui a conseillé de profiter autrement de leur temps à deux : avec des câlins, des massages, de cuisiner ensemble, danser, jouer à des jeux ou simplement se blottir sous un plaid pour regarder une série. Bref, retrouver des moments complices, sans attentes ni tensions. Après une pause de quatre mois, le désir est progressivement revenu : « J’ai commencé à me faire plaisir seul, à regarder d’autres femmes parce qu’il n’y avait pas d’enjeu avec elles et puis, quand je me suis rassuré, j’ai de nouveau eu envie de me rapprocher de ma copine. Alors, j’ai toujours du mal à aller jusqu’au bout, mais rien que de ressentir quelque chose à ce niveau-là, ça me fait du bien. Je suis un peu plus confiant pour la suite », nous confie Bastien.
De son côté, Julia, qui vit avec un trouble bipolaire, a mis plusieurs années à comprendre l’impact de la maladie sur sa vie intime : « On parle souvent des hauts et des bas émotionnels, mais on ne réalise pas à quel point cela peut bouleverser l’intimité, le rapport au corps et le désir. » Diagnostiquée à 26 ans, elle a traversé des phases où son envie débordante la poussait à multiplier les expériences, parfois sans réfléchir aux conséquences : « Il y a des périodes où j’avais une énergie folle et un besoin incontrôlable de me sentir vivante. Je sortais beaucoup, je rencontrais des gens, et je ne prenais pas toujours la peine de me protéger, ni physiquement ni émotionnellement. »
Ces phases d’euphorie étaient suivies par des périodes de dépression : « Dans ces moments-là, le désir disparaît. Mon corps ne répond plus, même quand j’essaie de me toucher, je ne ressens rien. C’est comme si je n’existais plus à ce niveau. » Julia explique que ces changements de désir sont difficiles à vivre, pour elle mais aussi pour ses copains : « Beaucoup de mes copains m’ont quittée parce qu’ils ne comprenaient pas les phases que je traversais. Mais je ne l’ai pas mal vécu, parce que quand je ne vais pas bien, il n’y a plus de place pour l’autre. » Aujourd’hui, Julia semble avoir trouvé un nouvel équilibre, aidée par un traitement médicamenteux qui lui a permis d’apaiser les hauts et les bas émotionnels : « Avec mon compagnon actuel, qui vit aussi avec un trouble bipolaire, on a appris à communiquer sur nos phases. Quand je ne vais pas bien, il respecte mon besoin d’espace et ne me sollicite pas quand je n’ai pas envie. Et quand je suis trop intense, il essaie de trouver les mots pour que ça ne devienne pas trop étouffant. Avec lui, c’est différent de tout ce que j’ai connu parce qu’il me comprend vraiment. »
Même si le chemin peut être plus difficile et prendre beaucoup de temps, l’histoire de Bastien et de Julia montrent qu’accepter que le désir change quand on vit avec des troubles psychiques est un premier pas vers le rétablissement. Cela permet de se libérer du poids de la culpabilité et de la honte, des sentiments fréquents dans ces moments-là. Quand le désir pour l’autre devient plus rare, on peut être tenté de s’isoler, de cacher ce qu’on ressent ou même de fuir sa relation pour voir si ça fonctionne ailleurs. Pourtant, c’est justement à ce moment qu’il est important d’oser parler avec son/sa partenaire. Plutôt que de risquer qu’il ou elle se sente rejeté(e), on peut tenter de verbaliser les choses. « Je traverse une période difficile, j’ai moins de désir, mais ça n’a rien à voir avec l’amour que j’ai pour toi. » : ce genre de mots peut rassurer, et même si cela nous met en insécurité au premier abord, cela peut également permettre de renforcer la relation. On se soulage d’un gros poids, on assume où l’on en est et on permet à l’autre de continuer à nous choisir à nouveau, avec une communication plus fluide.
S'affranchir des règles
Dans la vie, et encore plus quand on vit avec des troubles psychiques, il n’y a pas de mode d’emploi pour la sexualité ou le désir. Ce qui compte vraiment, c’est de trouver son propre équilibre, tout en gardant en tête que ça peut bouger avec le temps. Prenons un exemple : le désir sexuel peut s’éclipser à cause d’une dépression, d’un gros stress ou même d’un traitement médicamenteux. Mais ça ne veut pas dire qu’on n’a plus besoin de proximité ou d’affection. Parfois, on préfère les câlins, la tendresse, sans forcément passer par le sexe. Et cette manière de partager l’intimité est tout aussi précieuse. L’inverse est vrai aussi : parfois, le désir sexuel peut devenir beaucoup plus intense, comme lors d’une phase maniaque dans un trouble bipolaire, où certaines personnes ressentent beaucoup plus de désir. Quand la phase passe, il y a souvent un retour à un équilibre, avec moins d’envies. Ces hauts et ces bas peuvent être perturbants et c’est pour ça qu’il est très important d’apprendre à se connaître et savoir comment on fonctionne, avec son trouble psy.
Après, quand on est en couple, on peut avoir du mal à vivre le fait que son partenaire ait moins de désir pour nous pendant un certain temps. Plutôt que de se sentir rejeté(e) et même si l’autre semble fermé, qu’il fuit la discussion parce qu’il a honte ou qu’il évite le problème, le mieux, c’est d’essayer d’en parler doucement, sans jugement. Quand on prend le temps de se dire que ce n’est pas une question d’amour, mais juste un moment difficile, ça change tout.
Si on arrive à parler de nos besoins sans jugement, on peut trouver des solutions ensemble, se soutenir sans pression. Parfois, traverser cette épreuve ensemble peut même renforcer l’amour. Mais il faut aussi savoir que si l’autre ne comprend pas ou ne fait pas l’effort de parler, il peut arriver qu'on choisisse de partir. Parce qu’on mérite d’être avec quelqu’un qui respecte nos besoins, nos limites, et qui est prêt à avancer avec nous. N’oublions pas que chaque personne est différente, et surtout que la sexualité n’est pas un concours. Ce n’est pas une question de performance, mais de bien-être. Et même quand le désir sexuel semble s’éloigner pour de bon, il est toujours possible de le raviver à son rythme. L’essentiel est de trouver ce qui nous fait du bien, que ce soit seul(e) ou à deux. Chez Plein Espoir, on le sait bien, les hauts et les bas font partie de la vie, mais il existe toujours des moyens de se sentir épanoui dans sa sexualité et de trouver son équilibre, quel que soit le chemin qu’on choisit.
(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l'anonymat des personnes interviewées.
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