Le trouble psychique change-t-il qui je suis ?
Quand un trouble psychique survient dans notre vie, il ne bouleverse pas seulement notre quotidien, nos relations sociales ou notre rapport au travail. Il touche à quelque chose de plus profond : notre identité. On peut alors se demander si le trouble change notre façon d’être, notre personnalité, nos envies ? Mais aussi, comment lui faire une place, sans qu’il n’efface tout le reste ? Ces doutes et ces remises en question sont vertigineux, mais ils peuvent aussi être l’occasion d’apprendre à mieux nous connaître et à se réinventer autrement. Pour explorer ce chemin, Plein Espoir a rencontré Nathalie et Jérémy (1) : deux parcours différents, deux façons de vivre avec un trouble psychique et une manière unique de questionner l’impact de ce trouble sur la construction de l’identité.
Un jour, sans vraiment comprendre pourquoi, tout devient plus difficile. Une tristesse qu’on n’arrive pas à expliquer, une angoisse qui nous paralyse, une fatigue si lourde qu’elle nous cloue au lit. On voudrait continuer de faire comme avant, mais le corps ne suit pas, et la tête non plus. Il pouvait déjà y avoir des signes avant, mais on n’y a pas fait attention. Et puis, un jour, le trouble s’installe vraiment. Les émotions deviennent trop fortes ou disparaissent complètement. Le simple fait de sortir, de voir nos proches, de faire les choses les plus simples demandent un effort immense. Même aller acheter une baguette à la boulangerie est mission impossible.
Avant que le trouble n’arrive dans notre vie, on avait généralement des projets, des envies et surtout, une certaine image de soi. Et puis, du jour au lendemain, tout change. Il faut alors accepter que certaines choses soient plus compliquées, que ça prend du temps, mais aussi découvrir de nouvelles manières d’avancer. On ne va pas se mentir, le chemin vers le rétablissement est généralement long et il faut parfois accepter que la reconstruction ne se fasse pas toujours en une seule fois. Pourtant, ces épreuves nous apprennent beaucoup sur nous-mêmes. Elles nous montrent que l’on peut s’adapter, avancer malgré tout, et que chaque petite victoire compte. Avec le temps, on comprend que le rétablissement, ce n’est pas revenir à un état de santé antérieur et faire disparaître le trouble de notre vie, mais c’est apprendre à vivre avec, sans qu’il prenne toute la place. Alors, même dans les moments les plus difficiles, il est important de s’accrocher, de tenir bon, car avec du temps et du soutien, il est toujours possible d’aller mieux.
Mon trouble, c’est ce qui fait que je suis moi ?
Jérémy a toujours été un enfant dans son monde. Dès qu’il le pouvait, il s’enfermait dans sa chambre pour dessiner et inventer des histoires. Il aimait imaginer qu’il était un super-héros, capable d’effacer la violence du monde ou de s’envoler loin de tout. À l’adolescence, la musique et l’écriture ont pris une grande place dans sa vie. Un refuge pour échapper à ses angoisses. Mais les questions tournaient en boucle dans sa tête, surtout la nuit : « Pourquoi je suis là ? Quelle est ma place ? J’ai déjà 16 ans, donc ça veut dire que je suis plus proche de la mort qu’hier ? » Le pire, c’était quand il regardait les étoiles. « En fait, je suis rien du tout. Une poussière de rien. » Comme il n’arrivait plus à trouver le sommeil, ses parents l’ont emmené voir un psychiatre. Rien n’en est vraiment ressorti : il était juste un ado un peu trop rêveur.
Après le bac, il est entré en école d’art. Un environnement où tout le monde cherche à être unique, mais il était encore différent des autres. Ses rêveries prenaient de plus en plus de place, plusieurs heures par jour. Elles lui semblaient si réelles qu’il avait du mal à en sortir. Résultat : il oubliait les dates de ses rendus, de se faire à manger, de se laver. En cours, son esprit était absorbé par les bruits de stylos, les respirations, les lumières trop fortes. Comme s’il ne savait pas trier ce qui était important. « Je savais déjà que j’étais différent, mais en même temps, je trouvais que le monde était encore plus étrange que moi. » Parfois, il avait des prises de conscience si brutales qu’elles lui faisaient physiquement mal. « Dans ces moments-là, je me recroquevillais sur moi-même, incapable de bouger, avec une douleur très forte dans la poitrine. Il m’arrivait d’avoir du mal à respirer. »
Et puis, un soir, tout est devenu trop lourd pour lui. Il a avalé des médicaments qu’il avait sous la main. Il avait oublié que son copain devait passer pour finir un projet. Il l’a retrouvé allongé sur son lit et a appelé les secours. Après l’urgence, Jérémy a passé plusieurs mois en maison de repos. Ce temps loin du monde a été bénéfique. « L’école d’art m’avait épuisé parce qu’il fallait énormément produire, donc, je me suis reposé et j’ai recommencé à créer à mon rythme. D’abord des dessins, puis j’ai demandé l’autorisation pour avoir un dictaphone et enregistrer les bruits du quotidien. J’ai commencé à imaginer des morceaux et tout un univers musical. » Petit à petit, il a appris à mieux comprendre son trouble. Il n’était pas juste « un rêveur ». Ce qu’il vivait portait un nom : un trouble de l’attention avec une hypersensibilité. Il a mis en place des stratégies pour mieux vivre avec : associer ses routines à des codes couleur, noter ses priorités sur papier, toujours garder un carnet à portée de main, mettre des alarmes sur son téléphone pour ne rien oublier. Comme ça arrive dans la plupart des troubles psychiques, il savait qu’il ne pourrait pas fonctionner comme tout le monde, mais il pouvait trouver des manières de contourner les difficultés.
S’il a quitté l’école sans diplôme, aujourd’hui, il travaille dans une maison de retraite où il anime des ateliers artistiques. Et quelque part, il a trouvé son équilibre. « Quand je me présente, j’ai du mal à ne pas parler de mon trouble tout de suite. Parce que c’est ce qui fait que je suis moi. » Comme beaucoup d’entre nous, il a d’abord cru que son trouble était une faiblesse, un poids à porter. Mais aujourd’hui, il porte un autre regard :
« Parfois, j’aimerais arrêter les médicaments, ne plus avoir ces moments de peur existentielle, mieux gérer les priorités. Après, je pense que ça me permet de voir au-delà de ce que la plupart des gens ressentent. » Son regard s’adoucit. « Il suffit de voir mes frères et sœurs, qui ne sont pas du tout dans l’art. Ce n’est ni mieux ni moins bien, juste différent. Mais pour moi, c’est une chance. Créer me permet d’exister autrement, de voir le monde à ma façon et de l’exprimer. C’est ma manière de dire ce que je ressens, et c’est important. »
Beaucoup d’entre nous le savent déjà : l’art peut être un vrai refuge quand on vit avec un trouble psychique. Peindre, écrire, jouer de la musique… Peu importe ce qu’on choisit, créer permet souvent d’exprimer ce qu’on ne peut pas toujours dire. Quand les pensées s’emballent, que l’anxiété est trop forte ou que l’énergie manque, les pratiques artistiques peuvent aider à se recentrer, à poser ce qui déborde. C’est aussi une façon de reprendre le contrôle, de structurer le chaos intérieur, de ralentir et de respirer.

Quand la rechute bouscule l’identité
Après, même sans trouble psychique, il n’est pas toujours simple d’avoir une vision juste de soi. Alors quand on vit avec, surtout dans les moments de moins bien, cet équilibre devient encore plus fragile. L’image que l’on a de soi se trouble, déformée par la fatigue, l’angoisse ou le doute. On ne se reconnaît plus, on a l’impression d’avoir perdu ce qui faisait notre force, d’être une version diminuée de nous-même. Pour certaines personnes, cette remise en question n’arrive qu’une fois. C’est le cas de Jérémy : son trouble a marqué sa vie, mais il a fini par le comprendre et à s’adapter, sans avoir à tout reconstruire à chaque étape.
Mais bien souvent, le rétablissement n’est pas une ligne droite. On peut penser avoir trouvé une stabilité, puis une rechute arrive et tout bascule à nouveau. Il faut alors s’adapter et accepter que l’équilibre doit encore être réinventé. C’est ce que vit Nathalie, atteinte d’un trouble anxieux généralisé depuis qu’elle est jeune femme. Après un premier travail sur elle, une rechute a tout remis en question. Et avec elle, une question lourde de sens : Est-ce que j’ai vraiment avancé si je rechute encore ? Qui suis-je en dehors de ces allers-retours entre mieux et moins bien ? « Avant ma rechute, il y a un an, je me voyais comme quelqu’un de fort. J'avais appris à gérer mon trouble anxieux, je me sentais capable, résiliente, nous confie-t-elle. Mon hypersensibilité, je l’avais transformée en force. J’étais engagée dans la sensibilisation à la santé mentale et j’étais fière de défendre l’idée qu’être vulnérable, c’était aussi une forme de puissance. Pleurer, ressentir fort, tout ça, c’était beau. Et puis, un jour, tout a basculé. »
Hospitalisée en clinique psychiatrique quelques semaines, puis en arrêt de travail pendant plusieurs mois, Nathalie a vu son monde s’effondrer. « Moi qui aidais les autres, moi qui tenais bon, je n’étais plus capable de rien. J’étais tout le temps fatiguée, il était impossible de me concentrer, et je n’arrivais même plus à être là pour mes amis. » Quand elle a tenté de reprendre son travail en temps partiel thérapeutique, elle a vite compris que ce n’était pas possible. « Je n’arrivais pas à tenir une journée complète. Mon cerveau ne suivait plus, ma mémoire me lâchait. J’avais l’impression d’être une version diminuée de moi-même. » Son CDD terminé, elle a donc pris la décision de ne pas le renouveler. « J’ai dû me rendre à l’évidence : je ne pouvais plus fonctionner comme avant. J’avais besoin de m’arrêter, de me soigner vraiment, avant de pouvoir repartir. »
Mais avec cette pause est venue une autre bataille : celle de l’identité. « Je me dis tout le temps que je ne suis plus moi. Que je suis cassée. Je veux juste redevenir celle que j’étais avant », nous confie-t-elle. La dépression a brouillé son regard sur elle-même. Avant, elle se définissait par sa capacité à repousser ses limites, à être présente pour les autres, à avancer coûte que coûte. Aujourd’hui, tout lui semble flou. Et c’est normal : quand le trouble nous empêche d’agir comme avant, il devient difficile de se reconnaître, de savoir ce qui reste de soi au-delà des symptômes.
Pourtant, parfois, un regard extérieur peut nous aider à voir autre chose. Quand Nathalie est partie de son travail, elle a reçu une vague d’amour inattendue. « Mes collègues m’ont envoyé des messages qui m’ont bouleversée. Ils m’ont décrit comme quelqu’un de lumineuse, de précieuse… et ça m’a fait un choc. Parce que ce n’est pas du tout comme ça que je me vois en ce moment. » Ces mots l’ont questionné : « Si je n’existe pas que dans mes victoires, alors je n’existe pas que dans mes échecs non plus. Je suis là, peu importe où j’en suis dans mon rétablissement. » Aujourd’hui, elle reconnaît qu’elle est encore en plein cheminement. « Je ne vais pas prétendre que j’ai tout compris. Je doute encore beaucoup. Mais je me dis que si d’autres me voient autrement, c’est peut-être que moi aussi, un jour, je finirai par me retrouver. »

Qui je suis vraiment ?
On le sait bien, l’identité n’est pas quelque chose de figé. Elle évolue, elle se transforme, elle se cherche. Mais quand on vit avec un trouble psychique, elle peut devenir encore plus floue. Certains jours, on a l’impression d’être en accord avec soi, et puis à d’autres moments, on ne se reconnaît plus du tout. Et puis, il y a cette peur. La peur que le trouble prenne toute la place. Qu’il absorbe tout le reste. Qu’il devienne l’unique réponse à la question : Qui es-tu ? Comme si un diagnostic suffisait à tout expliquer. Comme si, au-delà de ça, il n’y avait plus rien. Alors on lutte. Contre le regard des autres, contre les étiquettes, contre cette impression d’être réduit à une case. Parfois, on peut cacher ce qu’on traverse. Parfois, on peut jouer un rôle pour être celui ou celle que les autres attendent de nous, mais aussi, pour ne pas être défini par quelque chose qu’on ne contrôle pas toujours.
Mais alors, est-ce qu’on peut vraiment se résumer à un trouble ? Chez Plein Espoir, on est convaincu que l’identité n’est pas une liste de symptômes. Elle se construit à travers nos expériences, nos souvenirs, nos relations, nos rêves, nos choix – même ceux qui semblent trop petits pour compter. Alors, peut-être que la réponse à Qui suis-je ? change d’un jour à l’autre. Peut-être que parfois, elle nous échappe complètement. Peut-être qu’on doute, qu’on cherche encore des réponses, qu’on hésite ou qu’on se sent perdu. Mais une chose est certaine : on est bien plus qu’un trouble psychique. Et peu importe ce qu’on traverse, notre identité ne disparaît pas. Elle nous appartient, et personne, ni même un trouble qui prend beaucoup de place, ne peut la prendre. Elle est à nous.
(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l'anonymat des personnes interviewées.
Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.
Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.