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La pair-advocacy, ou comment permettre aux personnes concernées de mieux se faire entendre 

Et s’il existait une troisième voie, entre les institutions et les avocats ? Un autre moyen d’aider celles et ceux qu’on n’écoute pas à faire entendre leur voix ? C’est là qu’intervient l’advocacy. Ni soin, ni défense juridique, l’advocacy est un accompagnement à l’expression. Une manière de soutenir une personne en souffrance psychique pour qu’elle puisse faire valoir ses droits, formuler ses demandes, reprendre sa place dans les échanges. Être écoutée, pour de vrai.Pour mieux comprendre ce que recouvre l’advocacy, Plein Espoir a rencontré Martine Dutoit, pair advocate et chercheuse en sciences humaines. Elle intervient au sein d’Advocacy France, une association portée par des personnes concernées par la psychiatrie, aux côtés de proches et de quelques professionnels. Elle nous parle d’un engagement très concret : aider à écrire un courrier, accompagner à un rendez-vous, préparer une audience, expliquer une décision. Être là, simplement, quand c’est compliqué, quand on ne sait plus comment faire, ni vers qui se tourner. Parce que parfois, ce qui change tout, ce n’est pas de crier plus fort. C’est de ne plus être seul.



Plein Espoir :  Pour commencer, pouvez-vous expliquer ce que signifie le mot advocacy ? Expliquer l’initiative pour quelqu’un qui n’en aurait jamais entendu parler ?

Martine Dutoit : Advocacy est un mot anglais, assez difficile à traduire en français. Disons qu’il désigne un type de soutien bien particulier : un accompagnement à la parole, quand une personne n’arrive plus à se faire entendre, ou qu’elle se sent mal comprise par les institutions. Concrètement, le rôle du pair advocate, c’est d’être là comme un tiers de confiance. Il ne remplace pas la personne, ne parle pas à sa place. Il ne se substitue pas non plus à un avocat, car son action ne relève pas du judiciaire. Il est là pour aider la personne à formuler ce qu’elle vit, ce qu’elle souhaite, et pour faire en sorte que cette parole soit vraiment entendue. C’est une forme de médiation sociale, surtout utile dans les moments où les droits, la dignité ou la liberté d’une personne sont mis à mal : à l’hôpital, face à une mesure de contrainte, ou dans des situations d’exclusion, par exemple au travail. Le pair advocate agit avec délicatesse, pour rétablir un équilibre dans la relation, pour que le dialogue puisse exister à nouveau — de façon juste et respectueuse.

Plein Espoir : Comment est née l’association Advocacy France, et quel est le cœur de son action ?

Martine Dutoit : C’est une histoire qui commence dans les années 1990. À ce moment-là, je travaillais comme assistante sociale à l’hôpital Sainte-Anne, au contact direct des personnes concernées, alors qu’on sortait doucement du modèle de l’asile. Avec quelques autres, on a voulu créer un espace où leur parole puisse enfin trouver sa place. Au départ, Advocacy France n’avait pas vraiment vocation à devenir une association. C’était plutôt un lieu d’échanges, où les savoirs et les expériences de chacun pouvaient se croiser.Et puis, très vite, on a vu ce que ça changeait, de pouvoir parler. Les usagers ont commencé à s’impliquer, à porter des actions, à se saisir de cette dynamique. Des proches les ont rejoints. C’est là que tout a commencé à prendre forme. Ce qu’on a vu naître, c’est ce que les Anglo-Saxons appellent empowerment — un mot qui parle de dignité retrouvée, de pouvoir d’agir, de citoyenneté active. On est partis d’une simple intuition : quand celles et ceux qu’on n’écoute jamais sont enfin entendus… quelque chose bouge.

On ne propose pas de soins, au sens médical du terme. Et pourtant, ce qu’on fait soulage souvent. Parce qu’on accueille les personnes dans ce qu’elles sont : leur parcours, leurs difficultés, leurs droits, leur dignité. On ne les résume pas à un diagnostic. Pour nous, soin et citoyenneté ne sont pas opposés. Ce sont deux logiques différentes, mais qui peuvent coexister, se nourrir. C’est dans cet espace-là qu’intervient la paire advocate. Une troisième voix, aux côtés des familles et des professionnels. Nous intervenons toujours à la demande de la personne concernée. Pour faire lien, pour soutenir, pour accompagner. Pas pour parler à sa place, mais pour l’aider à faire entendre ce qu’elle vit. C’est une autre manière d’agir en santé mentale. Une alternative, qui ne remplace pas les soins, mais qui vient offrir un autre regard, une autre présence.

Plein Espoir : Aujourd’hui, comment agissez-vous aux côtés des personnes concernées ?

Martine Dutoit : L’action de l’association s’appuie sur trois piliers :
– l’accompagnement individuel pour faciliter l’accès aux droits et aux recours,
– des espaces conviviaux citoyens, pour se retrouver, échanger, proposer,
– et une implication dans la vie associative et la représentation des usagers.

Chaque mois, nous recevons une trentaine de demandes venues de toute la France, avec une forte concentration en région parisienne. Derrière ces appels, il y a souvent la même expérience : celle d’être mis à l’écart, disqualifié, à cause d’un diagnostic en santé mentale ou d’un handicap psychique. Notre rôle, c’est d’accompagner ces personnes pour qu’elles puissent faire entendre leur voix. Ce qui compte pour nous, ce n’est pas seulement d’aboutir à une réponse juridique ou à une reconnaissance formelle, mais que la personne soit entendue, reconnue, dans ce qu’elle vit.

Il faut savoir que tout le monde ne se sent pas capable d’aller voir un avocat, de porter plainte, ou d’entamer des démarches longues et complexes. Alors nous sommes là aussi pour ça : pour soutenir et accompagner. Avec les bonnes informations et les bons repères, la personne peut ensuite avancer à son rythme. Quand c’est un proche qui nous contacte – une maman, par exemple – on l’écoute, on la rassure, on prend le temps de lui expliquer notre approche. Mais très vite, on cherche à entrer en lien direct avec la personne concernée. Parce que c’est là que tout se joue : faire avec, jamais à la place. On prend le temps. On écoute ce qui se dit, ce qui ne se dit pas, et on essaie de comprendre à qui appartient vraiment la demande. Pour nous, ce lien direct avec la personne concernée, c’est le point de départ de tout.

Plein Espoir : À quoi ça ressemble, une rencontre, un début de parcours avec vous ?

Martine Dutoit : Souvent, ce sont des personnes hospitalisées qui nous appellent, sans vraiment comprendre pourquoi elles sont là. Alors on prend le temps. On leur rappelle leurs droits, on parle des recours possibles, on essaie de comprendre ce qui s’est passé, ce qu’elles souhaitent, ce qu’on peut faire ensemble. Quand on est contactés assez tôt, on peut parfois agir vite : écrire un courrier, appuyer une demande. Il m’est arrivé d’aider une personne à sortir grâce à ça. On intervient aussi dans d’autres situations : du harcèlement au travail, des questions de tutelle… Là encore, on accompagne, on soutient, on aide à formuler une demande.

Parfois, on prépare aussi des rendez-vous avec un avocat, quand c’est trop intimidant. On explique comment ça se passe, ce qu’il faut apporter, comment poser sa demande. L’idée, c’est toujours que la personne garde la main. Ce qu’on fait, ce n’est pas juste du droit. C’est du droit dans la vie réelle. Parce que souvent, ce qui coince, ce n’est pas la loi, c’est le regard qu’on porte sur la personne. Et nous, on est là pour rouvrir un espace. Pour qu’elle puisse à nouveau avancer.

Plein Espoir : Pouvez-vous nous partager un moment, une situation, où votre accompagnement a fait une différence ?

Martine Dutoit : Je pense à ce monsieur, par exemple, qui refusait de faire sa carte d’identité. Il était persuadé que, s’il entrait dans un commissariat ou à la préfecture, on ne le laisserait pas ressortir. Il avait connu des hospitalisations sous contrainte, et pour lui, c’était comme remettre le doigt dans l’engrenage.

Alors on a imaginé quelque chose. On l’a accompagné, mais de façon discrète, à distance. Il est entré seul, mais on était dehors, avec le téléphone, prêt à intervenir, à le rassurer. On lui avait garanti que s’il ne ressortait pas, on viendrait le chercher. C’était un vrai pacte de confiance. Finalement, il est ressorti avec sa carte. Et ce simple papier a tout débloqué. Ça lui a rouvert plein d’autres démarches qu’il n’osait plus faire. Ce qui est dur, c’est de voir que ce type d’accompagnement, pourtant simple, n’est presque jamais proposé par les soignants.

Plein Espoir : Aujourd’hui, combien de pair-advocates interviennent concrètement sur le terrain, et combien de personnes accompagnez-vous chaque année ?

Martine Dutoit : On a formé une cinquantaine de personnes depuis le début, mais en pratique, on est une dizaine à être vraiment actives. Chaque année, on suit entre 90 et 100 dossiers. Il y a eu des périodes où c’était plus, mais avec la multiplication des structures qui délivrent de l’information, les demandes se sont un peu réparties. Je précise également que nous accueillons les personnes sur rendez-vous dans nos espaces citoyens, notamment à Paris, au 11 rue de la Folie-Méricourt, dans le 11e arrondissement. D’autres lieux d’accueil sont également ouverts à Pierrefitte, Martigues, Avignon, Ploërmel, Hérouville-Saint-Clair, ainsi que dans le Nord, à Fourmies et Ronchin.

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16 avril 2025

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