Écouter autrement, soigner ensemble : ce que changent les directives anticipées en psychiatrie pour les personnes concernées, les professionnels et les structures
Et si l’on repensait le soin psychiatrique non plus seulement à partir des symptômes, mais à partir des personnes concernées ? C’est tout l’enjeu des Directives Anticipées en Psychiatrie (DAP). Elles recouvrent des outils encore discrets, mais porteurs de transformations profondes. Rédigées à distance d’une éventuelle crise, elles permettent de poser des mots sur ce qui compte, ce qui aide, ce que l’on refuse ou redoute quand l’état de santé ne permet plus de s’exprimer clairement. Plus qu’un document, c’est un espace de réflexion partagée, qui invite à écouter autrement, à soigner ensemble, à construire un cadre de soin plus respectueux et ajusté. Les DAP sont ainsi un outil citoyen, que chacun peut remplir ! Pour mieux saisir ce que les DAP transforment, dans les pratiques comme dans les liens de soin, Plein Espoir a rencontré Ofelia Lopez, psychologue clinicienne au groupe hospitalier Fondation Vallée–Paul Guiraud, et Nathalie Debrie, pair-aidante professionnelle. Cette dernière a elle-même utilisé l’un des outils de DAP existant, en l'occurrence Mon GPS (Guide Prévention et Soins en santé mentale) comme ressource dans son parcours de rétablissement. À elles deux, elles racontent ce que cet outil permet : redonner une voix aux usagers, du sens aux soignants, et, peut-être, un nouveau souffle aux institutions.
Il y a trente ans, Ofelia Lopez faisait ses premiers pas en psychiatrie avec une idée toute simple : pour aider les personnes concernées, il fallait d’abord écouter. Écouter vraiment. « Dès ma formation, on nous parlait de prévention, d’éducation pour la santé », raconte la psychologue clinicienne. Pas seulement pour apprendre à repérer les signes de souffrance, mais pour aller plus loin : aider les personnes à comprendre leur trouble, à s’approprier leur parcours de soin, à redevenir actrices de leur vie. C’est cela, l’éducation thérapeutique du patient : partager les connaissances, expliquer les traitements, mettre des mots sur des ressentis. Pour que le soin ne soit pas une suite d’injonctions descendantes, mais un dialogue. Une coopération.
Une volonté de remettre le patient au centre du soin
La professionnelle de santé s’intéresse ensuite à la réhabilitation psychosociale. Une approche qui ne s’arrête pas à la stabilisation des symptômes, mais qui vise un retour à la vie sociale, affective, professionnelle. Un travail de fond pour restaurer l’estime de soi, retisser des liens, retrouver une place dans la société. « J’y ai reconnu ce que je portais déjà », souffle-t-elle. L’idée qu’un diagnostic ne dit pas tout. Qu’il y a, derrière, des envies, des talents, des projets à accompagner.
En découvrant les directives anticipées en psychiatrie — déjà utilisées dans plusieurs pays mais encore inconnues en France — Ofelia Lopez a eu envie d’agir. « À ce moment-là, je travaillais dans un foyer de post-cure à Paris, un lieu entre l’hôpital et le retour à la vie quotidienne. Avec ma collègue Marie Condemine, on voulait trouver un moyen d’éviter les rechutes, les ruptures, et défendre les droits des personnes concernées. Comme il n’existait encore aucun outil en France, on a décidé d’en créer un », raconte-t-elle.
C’est ainsi qu’elle participe à la création des livrets Mon GPS — mon guide de prévention et de soins, [cet outil, mis en place par l’association Prism et le Psycom et soutenu par la fédération Santé mentale France existe en version Ado/Jeune Adulte et Parents]. Des supports à remplir seul, avec un proche ou un professionnel, pour mieux repérer ce qui peut aider en cas de crise, ce qui fait du bien, ce qu’il vaut mieux éviter. « Nous voulions créer quelque chose de souple, de maniable, qui puisse être saisi librement par les personnes concernées, mais aussi par leurs proches, et par les professionnels — qu’ils soient du sanitaire ou du médico-social », ajoute la psychologue. Une manière de replacer l’usager au centre du soin — et non à sa périphérie.

Un outil au service du rétablissement
Nathalie Debrie entend parler quant à elle des directives anticipées en psychiatrie en 2019, peu après une hospitalisation liée à une crise d’hypomanie. « J’ai téléchargé le livret sur le site du Psycom et j’ai répondu à toutes les questions », raconte-t-elle. Ça lui a pris du temps. Mais elle a tenu bon. « La crise venait juste de passer. J’avais encore tout en tête : ce que j’avais ressenti, ce qu’on avait décidé pour moi. Je voulais éviter que certaines choses se reproduisent. »
Remplir le livret Mon GPS, pour la pair-aidante, ce n’était pas juste cocher des cases. C’était mettre de l’ordre dans le tumulte. « Ça m’a aidée à clarifier mes idées, ça m’a soulagé parce que je sais que je serai mieux armée la prochaine fois. » Certaines questions, posées simplement, ont agi comme des déclencheurs. Comment suis-je quand je vais bien ? Comment suis-je quand je vais mal ? Répondre, c’était apprendre à se relire. À repérer les signaux faibles. À tracer, par petites touches, une cartographie intérieure.
« Quand je vais bien, je suis sereine, dit-elle. Je prends soin de moi, de mon image, j’écoute de la musique, je lis, je conduis... Et puis, je pense à des choses douces. » Le contraste avec les moments de moins bien est saisissant. « Quand, mon état se dégrade, l’angoisse revient. Je ne me déplace plus, ou alors à peine. C’est comme si sortir de chez moi devenait trop compliqué. Je n’ai plus envie de lire, je ne conduis plus, je ne parle plus à mes proches. Et je me dis que ma vie est finie. Quand j’en suis là, je sais qu’il faut être vigilant. »
Avec le temps, Nathalie Debrie a appris à reconnaître les bascules. Ce moment flou où tout peut vaciller. Mais grâce au livret Mon GPS, elle sait désormais où chercher quand la crise menace de revenir. « Pour moi, le premier geste à faire, quand ça ne va pas, c’est de relire Mon GPS. Ce n’est pas un outil réservé aux soignants. C’est aussi un outil pour soi. Quand la crise commence à monter, je m’y replonge. Je retrouve des phrases que j’ai écrites à un moment de clarté, des repères, des rappels : qu’est-ce qui m’a aidée la dernière fois ? » Désormais elle sait ce qui l’aide à revenir, doucement, vers un équilibre. « Me reposer. Promener ma chienne. Aller en forêt. » À l’inverse, elle sait aussi ce qui la fragilise. « Quand je ne vais pas bien, ce qui ne m’aide pas, c’est d’avoir trop de contacts autour de moi. Ce qu’il me faut, c’est un endroit calme, où je peux me poser, respirer. »
Mon GPS, pour Nathalie Debrie, c’est un document ressource. Une ancre. Une mémoire en veille. Il permet de remettre un peu d’ordre dans la confusion. « Ça aide à se poser. À ne pas paniquer tout de suite, nous confie-t-elle. À se rappeler que je peux m’en sortir. Par exemple, j’ai noté que si vraiment ça devient trop compliqué, je peux appeler le 15. C’est bête, mais quand on panique, on oublie les choses les plus simples. Appeler le 15, ce n’est pas forcément pour faire venir le SAMU, c’est juste pour entendre une voix, avoir une piste, retrouver un point d’appui. » Elle le sait : dans ces moments-là, relire ce qu’on a écrit quand ça allait mieux, c’est déjà commencer à revenir.

Un outil qui redonne du sens aux pratiques
À mesure qu’elle le pratique, Ofelia Lopez voit en Mon GPS bien plus qu’un outil de prévention : c’est un terrain de médiation, un espace pour penser ensemble ce qui reste souvent enfoui. « C’est un support pour penser. Pour explorer son savoir expérientiel, mettre des mots sur ses crises, ses ressources, ses besoins. Pour certains, cela a permis d’aborder des zones restées jusqu’alors dans l’ombre. Et pour moi aussi, cela a ouvert des portes. Des questions que je n’aurais peut-être jamais osé poser aux personnes que j’accompagne », nous explique-t-elle.
Remplir Mon GPS, c’est aussi revenir sur ce qui s’est passé à l’hôpital. Les souvenirs remontent, les silences aussi. La contention. L’isolement. Les mots qui blessent. Les portes qu’on ferme. La violence d’un soin qui se voulait protecteur, mais qui a parfois laissé plus de traces que la maladie elle-même. « Il faut pouvoir le dire : l’hospitalisation peut être traumatique. Elle l’est souvent. Et certaines mesures coercitives ne sont pas toujours justifiées, explique la psychologue clinicienne. Parfois, elles sont mal comprises et elles peuvent être abusives. » C’est pour cela qu’elle estime que le partage du livret est essentiel. Avec un professionnel référent, un proche, quelqu’un de confiance. « On ne peut pas deviner ce que l’autre souhaite ou ce qu’il refuse s’il ne le dit pas. Et c’est dans cet échange que l’outil prend toute sa portée : il devient un support de communication, de négociation, de co-construction du soin. Il permet de réfléchir ensemble. De poser les mots. D’anticiper, sans imposer », ajoute-t-elle.
En ce sens, Mon GPS ne transforme pas seulement la place du patient. Il redonne aussi du sens au travail des soignants. Car il ne s’agit plus de décider pour, mais avec. De s’ajuster à une histoire, une sensibilité, une temporalité. De retrouver, dans la relation de soin, un espace de dialogue et de confiance. Beaucoup de professionnels en témoignent : ce type d’outil ravive le cœur du métier. Celui qui consiste à écouter, comprendre, accompagner. Pas seulement à prescrire.
« Et on pourrait aller plus loin, estime Ofelia Lopez. Rien n’empêche aujourd’hui d’inscrire Mon GPS dans l’espace numérique de santé de la personne, accessible aux services d’urgence en cas de crise. Ce serait une avancée concrète : pousser la logique du droit jusqu’à son terme. Car ce sont bien les directives du patient — ce sont les siennes. Il en est le propriétaire. Il choisit à qui les confier. Et s’il décide de ne pas les partager, cela doit être respecté. C’est à nous, professionnels, de les lire. De les respecter. Et, le cas échéant, d’expliquer pourquoi nous ne l’avons pas fait. »
Par exemple : « Écoutez, vous m’aviez dit que vous ne vouliez pas de cette molécule. J’ai dû vous l’administrer, voilà pourquoi. Voilà dans quelles conditions. Voilà ce qui m’y a contraint. » Ce n’est plus un geste solitaire, vertical, venu de la tour d’ivoire médicale. C’est une décision partagée, documentée, confrontée au réel — mais éclairée par la volonté initiale de la personne concernée. En réalité, Mon GPS oblige chaque professionnel de la psychiatrie à se reposer une question essentielle : Pourquoi est-ce que je propose cela à ce patient ? Et surtout : Lui a-t-on demandé ce qu’il en pensait ? Il ne s’agit pas seulement de proposer un soin, mais de chercher ensemble la forme la plus juste, la plus acceptable. De travailler côte à côte. Non plus l’un à côté de l’autre.
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