Directives anticipées en psychiatrie : outils pour faire connaître ses besoins, au service du rétablissement en santé mentale
Et si l’on prenait le temps, quand tout va bien, de définir nos souhaits pour les jours plus fragiles ? C’est tout le principe des Directives Anticipées en Psychiatrie (DAP). Un outil encore trop peu connu, né d’un besoin simple et essentiel : pouvoir dire ce qui compte pour soi, avant que la crise n’emporte les mots. Ancrées dans la logique de rétablissement, les DAP permettent de poser des repères, de nommer ce qui apaise a priori, ce qui inquiète, ce qu’on aimerait éviter ou préserver quand on est pas en capacité de faire valoir ses droits seul. Elles se rédigent seul, avec un proche ou un professionnel, au fil de plusieurs rencontres. Ce n’est pas un simple formulaire : c’est une conversation, un espace pour rester pleinement acteur ou actrice de son parcours, en lien avec celles et ceux qui nous accompagnent. Pour mieux comprendre ce que permettent les DAP — dans la pratique et sur le terrain — Plein Espoir a rencontré Céline Loubières, coordinatrice du Projet Territorial de Santé Mentale (PTSM) en Loire-Atlantique et co-animatrice du Collectif DAP. Elle nous raconte comment cet outil ouvre, peu à peu, des chemins d’écoute, de respect et de confiance partagée.
Plein espoir : Comment expliquer ce que sont les DAP à quelqu’un qui n’en aurait jamais entendu parler ?
Céline Loubières : Les DAP, pour "Directives Anticipées en Psychiatrie", c’est un nom un peu technique pour un outil simple et profondément humain : permettre à une personne vivant avec un trouble psychique d’exprimer à l’avance ses souhaits concernant ses soins, pour les moments où elle ne pourra plus le faire. Car dans la tourmente d’une crise, la perception du réel se brouille, les mots se coincent. Dans ces instants-là, il devient difficile de faire entendre sa voix, d’expliquer ce que l’on ressent, ce que l’on voudrait — ou ce que l’on redoute. Trop souvent, ce sont les autres qui décident à votre place.
Les DAP permettent de dire en amont : voilà ce que je souhaite si jamais je vais mal. Une manière de se réapproprier sa voix, même en pleine tempête. De rester partie prenante de ce qui nous concerne le plus intime : notre santé, nos soins, notre dignité. C’est d’autant plus précieux que, dans le champ de la psychiatrie, la parole de celles et ceux qui traversent des crises est souvent mise de côté, disqualifiée, comme si elle n’était plus légitime. Pourtant, même en pleine phase aiguë, un désir demeure : celui d’être écouté. Les études sont claires : les personnes qui rédigent des DAP sont hospitalisées sous contrainte 32 % de moins que les autres. Le risque de rechute diminue aussi. Ce n’est pas un miracle, c’est juste le fruit d’une évidence : quand on écoute vraiment les personnes concernées, les choses se passent mieux.
Plein Espoir : Comment et quand est-ce que les DAP ont commencé à être déployés ?
Céline Loubières : Les Directives Anticipées en Psychiatrie ne sont pas tout à fait nouvelles. Elles se sont d’abord développées dans les pays anglo-saxons, avec des résultats probants, tant sur le plan médical qu’éthique. Les études médico-économiques l’ont montré : en plus d’une baisse d’hospitalisation, des crises mieux anticipées, une meilleure relation entre les soignants et les personnes concernées. Mais au-delà des chiffres, elles ont permis d’améliorer la question des droits, de la dignité de la personne concernée et rétablir une forme de confiance.
En France, plusieurs outils ont émergé, avec des formes et des noms différents. Il y a par exemple Mon GPS, un document accessible à tous, qu’on peut télécharger sur le site du Psycom [et dont la diffusion est soutenue par Santé mentale France] et remplir chez soi, avec un proche, un médecin ou un soignant. Au début, il pose des questions sur soi — qui je suis, ce qui me fait du bien, ce que je redoute — et ensuite, il invite à exprimer ses souhaits si jamais une hospitalisation devait survenir. C’est des gestes qui peuvent sembler simples et anodins et pourtant essentiels pour les personnes concernées : Pouvoir appeler mon frère. Avoir accès à mon téléphone. Éviter tel médicament, qui me fait trop d’effets secondaires…
Il y a aussi le plan de crise conjoint, qui se construit avec l’équipe soignante, souvent en centre médico-psychologique (CMP). Plus centré sur la gestion des crises, il permet de réfléchir à froid à ce que l’on voudrait — ou pas — si la situation devenait plus compliquée. C’est une co-écriture : l’équipe propose, la personne ajuste, et ensemble, on trace une feuille de route. Enfin, un autre format se déploie dans certains hôpitaux : les DAIP, directives anticipées co-construites avec un médiateur de santé pair. À la différence des autres personnes dans les services de psychiatrie, ce sont des personnes qui ont elles-mêmes traversé la psychiatrie, qui se sont formées et qui accompagnent aujourd’hui d’autres personnes qui le vivent. Elles apportent une parole différente, plus horizontale, souvent plus libre. Ce sont elles qui mènent les entretiens, qui aident à poser des mots, à dérouler ce qui parfois reste emmêlé dans la tête.
L’enjeu est toujours le même : écrire quand ça va, pour ne pas être dépossédé quand ça ne va pas. Et parfois, ça donne lieu à des scènes très touchantes : une infirmière qui, sentant une personne glisser, lui rappelle doucement qu’elle avait noté qu’aller au cinéma l’aidait à respirer ; un médecin qui relit avec elle ce qu’elle avait écrit, un jour où elle allait bien, pour mieux entendre ce qu’elle n’arrive plus à dire…
Plein Espoir : Aujourd’hui, plusieurs déclinaisons de Mon GPS existent, pouvez-vous nous en dire plus ?
Céline Loubières : Le premier “Mon GPS” est né en 2019, juste avant la crise du Covid, sous l’impulsion de Psycom. Un document simple, accessible à tous, pour poser ses repères, dire qui l’on est au-delà du trouble, et anticiper ce qu’on souhaite si une crise survient.
Puis d’autres déclinaisons ont vu le jour, pour mieux coller à la diversité des parcours. En 2021, une version a été créée pour les adolescents et les jeunes adultes. Parce que l’entrée dans la vie avec un trouble psychique ne se vit pas de la même manière à 17 ans qu’à 40. Parce que les mots, les inquiétudes, les points d’appui ne sont pas les mêmes. Cette version invite les plus jeunes à se raconter, à poser ce qui leur fait du bien, ce qui les rassure, ce qu’ils ne veulent surtout pas dans les moments difficiles.
Plus récemment, une autre version, moins connue mais tout aussi essentielle, s’adresse aux parents vivant avec un trouble psychique. Né d’un partenariat avec l’Unafam — association engagée aux côtés des personnes vivant avec des troubles psychiques et de leurs proches — ce projet porte une idée forte : rappeler que derrière l’hospitalisation, il y a aussi, parfois, des mères, des pères. Trop souvent, cet aspect est relégué au second plan, comme si la parentalité s’éclipsait dès l’entrée en soins. Mon GPS Parent permet de ne pas oublier. Il invite à nommer les enfants, les liens, les habitudes du quotidien qu’il serait important de préserver. Il permet de dire : voilà ce que vous devez savoir sur mes enfants si je suis hospitalisé·e. Voilà ce qui les aide, ce qui les inquiète, ce qui peut les rassurer. C’est aussi une manière de soutenir la dynamique de rétablissement, en revalorisant le rôle de parent comme une force, un moteur, même dans la traversée des crises. Chaque version est pensée avec les personnes concernées, en collaboration. C’est ce qui fait la force de ces outils : ils ne sont pas plaqués d’en haut, ils sont tissés à hauteur d’humanité.
Plein Espoir : Les DAP sont-elles toujours respectées lorsque la personne concernée est hospitalisée ?
Céline Loubières : C’est peut-être là que les choses se compliquent. Car aujourd’hui, elles ne sont ni encadrées par la loi, ni juridiquement opposables. Ce qui signifie qu'à l'hôpital personne n’a l’obligation de les suivre, même si elles ont été rédigées avec soin. On ne peut pas, par exemple, refuser une mesure de contention en s’appuyant uniquement sur une DAP.
Alors, forcément, cela freine. Certains professionnels disent que ça ne sert à rien et côté usagers, la déception peut aussi être grande : pourquoi prendre la peine d’écrire ce qu’on souhaite, si personne ne s’engage à le respecter ?
Et pourtant. Quand on prend le temps d’écouter, vraiment, les demandes formulées sont loin d’être irréalistes. Les personnes concernées ne réclament ni la lune, ni la fin des soins, ni des passe-droits. Elles demandent, simplement, à être traitées avec un peu plus de considération. Par exemple, ça peut être : Si je dois être hospitalisé·e, je préférerais une chambre seule. Si ce n’est pas possible, alors avec quelqu’un de mon âge. Ou encore : Si je suis hospitalisée, je voudrais pouvoir prévenir rapidement ma diététicienne.”
Après, certaines demandes sont plus complexes. Comme cette femme traumatisée par une injection intramusculaire reçue lors d’une précédente hospitalisation. Dans sa DAP, elle écrivait : “Je refuse tout traitement administré de cette façon.” Une parole forte, qui oblige à réfléchir. Comment, en tant que soignant, éviter de revivre une telle situation ? Quels signaux repérer pour désamorcer la crise en amont ? Que mettre en place pour que l’hospitalisation, si elle devient inévitable, se fasse avec respect et dialogue ?
Ces documents permettent d’anticiper les difficultés. Mais pour cela, encore faut-il que les DAP suivent la personne dans son parcours. Or, bien souvent, elles se perdent entre les services. L’équipe ambulatoire qui connaît bien le patient n’est pas toujours la même que celle de l’hospitalisation. La DAP reste dans un tiroir ou un classeur, au lieu d’être visible dans le dossier médical. C’est là tout l’enjeu aujourd’hui : faire en sorte que ces documents soient intégrés, reconnus, partagés. Que leur contenu circule, de la consultation au service d’urgence, du centre médico-psychologique (CMP) au service fermé. Plusieurs équipes y travaillent activement, avec une ambition claire : faire entrer les DAP dans le parcours de soin comme une évidence.
Plein Espoir : Qu’est-ce que ça change pour les patients et les personnes concernées ?
Céline Loubières : Tout ce qui permet de fluidifier la communication est une avancée. Et les DAP, c’est exactement cela : un espace pour dire, poser les choses, quand souvent, on ne s’en sent pas le droit. Car dans les faits, beaucoup de personnes n’osent pas s’exprimer sur ce qu’elles vivent. Et trop souvent, les professionnels parlent à leur place, en pensant bien faire.
Avec les DAP, on change de posture. On co-construit. La personne concernée, un soignant, parfois un proche : on s’assied ensemble, on prend le temps. Ce n’est pas un document qu’on remplit à la va-vite en une consultation. Il faut deux, trois, parfois quatre rendez-vous. Car ce n’est pas un formulaire : c’est un cheminement. Une manière d’ancrer les choses, d’y revenir, de faire mémoire aussi. Car ce qu’on n’écrit pas, souvent, s’efface.
Pour les soignants, c’est une autre manière de travailler : en s’appuyant sur le savoir de la personne. Cela oblige à se fédérer, à créer un langage commun. On sort du schéma vertical. On construit une relation de soin où chacun apporte quelque chose. Alors bien sûr, les DAP, ce n’est pas un remède miracle. Mais elles s’inscrivent dans une philosophie plus large : celle du rétablissement. Une approche qui, il y a quinze ans encore, ne concernait qu’un petit noyau convaincu. En 2009, 2010, en France, c’était marginal. Aujourd’hui, c’est mieux diffusé, mieux reconnu. Mais ce n’est toujours pas généralisé. Tout le monde n’y adhère pas, même si les résultats sont là.
Aujourd’hui, je pense que ce genre de dispositifs devraient concerner tout le monde. Bien au-delà de la psychiatrie. Récemment, une amie, atteinte de la maladie de Parkinson, s’en est saisie. Car les enjeux sont les mêmes : comment anticiper, comment exprimer ses besoins quand on sent qu’on perd la main ? Pour Alzheimer aussi. Pour toutes les situations où la parole peut vaciller. Où les soins s’imposent sans toujours s’ajuster à la personne. Dans l’idéal, chacun devrait avoir sa forme de directive anticipée en cas d’hospitalisation. Une trace, un repère, une voix qu’on laisse à disposition pour les jours plus compliqués. Ce n’est pas une contrainte, c’est une main tendue entre les étapes du soin. Un filet de sécurité. Une mémoire partagée.