Préserver la complicité et l’amour malgré les troubles psychiques
Aimer, c’est souvent accepter de passer par des hauts et des bas. Mais lorsque les troubles psychiques s’invitent dans la relation, cet équilibre peut se fragiliser davantage. Pourtant, pour certains, ces épreuves ne brisent pas le lien, mais le renforcent, nourrissant une complicité profonde et un soutien mutuel. Alors, comment préserver l’intimité malgré les défis ? Pour mieux le comprendre, on a décidé chez Plein Espoir d’aller à la rencontre de Kendrys, Arthur, François et Lauren…
Lorsque les troubles psychiques s’immiscent dans l’intimité et la relation amoureuse – qu’il s’agisse de dépression, d’anxiété, de bipolarité, de schizophrénie ou d’autres maux invisibles –, ils viennent parfois fissurer ce refuge, cet espace censé offrir à chacun la liberté d’être soi-même. Ce qui se joue alors, nous le connaissons bien, ça dépasse la simple dynamique des sentiments. D’un côté, il y a une personne qui peut être dépassée par des pensées complexes et avoir du mal à les exprimer clairement. De l’autre, il y a un partenaire aimant mais parfois perdu, qui hésite entre vouloir aider et devoir préserver son propre équilibre.
Dans une relation amoureuse, les troubles psychiques peuvent souvent causer des incompréhensions. Une personne en souffrance ou en crise peut instinctivement se replier sur elle-même, être d’abord incapable de mettre des mots sur ce qu’elle traverse. « Je ne savais pas quoi dire », nous confient souvent celles et ceux qui traversent ces épreuves. Un silence qui, bien que non intentionnel, peut être perçu comme un rejet, poussant l'autre à se poser la question : « Est-ce que j’en fais assez ? Est-ce qu’il ou elle veut encore de moi ? » De l’autre côté, des maladresses sont aussi fréquentes. Face à une crise d’angoisse, des remarques telles que « Calme-toi, ce n’est rien » ou « Pourquoi tu réagis ainsi ? » peuvent aggraver la détresse. Dans ces moments-là, ce dont la personne en souffrance a souvent besoin, c’est avant tout d’une présence apaisante. Un simple « Je suis là » peut suffire à désamorcer la tension.
Heureusement, avec le temps, des stratégies d’adaptation peuvent se mettre en place. L’une des plus courantes consiste à instaurer des routines claires : un moment quotidien pour partager ses ressentis ou un engagement mutuel à prévenir l’autre en cas de difficulté. Il est aussi fréquent de créer son propre langage : un mot, une phrase, ou même un emoji pour dire « J’ai besoin de toi » sans avoir à se justifier ou chercher les mots. Le vrai défi réside dans l’acceptation que la relation amoureuse, dans ce contexte, demande un travail constant. Elle requiert une attention mutuelle continue, et surtout, beaucoup de patience.
Développer son propre langage pour mieux se comprendre
L’histoire de Kendrys et Arthur illustre ces défis de manière marquante. Leur rencontre, il y a cinq ans, a eu l’intensité des grands départs : une étincelle brute, presque électrique, comme si leurs vies s’étaient suspendues pour ce moment précis. Aux premiers rendez-vous, ils ne tournent pas autour du pot. Les phrases toutes faites laissent place à des confidences sincères. Très vite, Kendrys se dévoile : sa dépression chronique, ses douleurs invalidantes. Des compagnes invisibles qui, comme des ombres, dictent leurs propres règles. Arthur écoute, sans se dérober. Il prend ces mots comme une clé, pas comme une alerte. « Quand il a prononcé le mot dépression, je savais déjà ce que ça voulait dire, nous confie-t-il. Ma mère vit avec ce trouble depuis que je suis enfant. J’ai choisi de ne pas en faire une montagne. C’était juste une donnée parmi d’autres. Pour moi, ce qu’on partageait me semblait plus grand que tout. »
Mais, comme dans toute histoire, la magie initiale ne suffit pas, et la réalité s’impose rapidement. Arthur n’est pas toujours là quand son compagnon a besoin de lui et de son côté, Kendrys, a du mal à verbaliser ses émotions et ses besoins. Une nuit, submergé par un mal-être, Kendrys envoie un message à Arthur pour lui dire qu’il ne va pas bien. Ce dernier qui est sorti avec des amis, voit le message mais ne mesure pas l’urgence de la situation. Il rentre bien plus tard, au milieu de la nuit, et trouve Kendrys les yeux gonflés, allongé sur le canapé. À l’image de cette soirée, les maladresses s’accumulent, les tensions éclatent parfois, mais elles finissent toujours par ouvrir une porte. Kendrys se rend compte rapidement qu’avec Arthur, il faut souvent répéter, faire preuve de pédagogie et de patience. Au début, Kendrys le vit mal. Répéter, pour lui, c’est comme admettre qu’il n'est pas entendu. Mais avec le temps, il comprend que c’est un exercice nécessaire, une manière de traduire ce qui semble évident dans son esprit. Une manière surtout de rendre compte de ses besoins.
Ce travail de communication implique un autre effort tout aussi important : sortir du silence imposé par le trouble. Quand il va mal, Kendrys a tendance à se replier sur lui-même. Une fois, après une journée particulièrement éprouvante, il est incapable de répondre aux sollicitations d’Arthur. Ce dernier, d’abord inquiet, finit par lui dire : « Je ne sais pas quoi faire quand tu es comme ça. Tu veux que je reste ? Que je parte ? Aide-moi à comprendre. » Cette question, simple en apparence, pousse Kendrys à réfléchir. Il se rend compte qu’il a besoin de deux choses contradictoires : être entouré sans être envahi, et parfois, juste être seul. Ils mettent alors en place un système de communication clair. Quand Kendrys ressent le besoin de s’isoler, il le dit, et Arthur, de son côté, apprend à respecter ces moments sans les prendre pour un rejet. Ils avancent ainsi, avec des mots parfois maladroits et des efforts pour mieux se comprendre. « Ce n’est pas parfait, résume Kendrys. Mais au moins, on essaye. »
Savoir mettre en place une grille de lecture de compréhension
De leur côté, Lauren et François, en couple depuis douze ans, ont traversé des tempêtes silencieuses avant de comprendre ce qui pesait sur leur relation. Pendant sept ans, les symptômes restent flous, sans explication précise. Lauren souffre d’anxiété extrême, de crises de panique et d’un isolement progressif. Parfois, elle entend des voix comme des murmures. François se retrouve face à une compagne qu’il ne reconnaît plus, sans savoir comment l’aider. « C’était comme si elle se battait contre quelque chose que je ne pouvais ni voir ni comprendre », nous explique-t-il. Le diagnostic de schizophrénie, posé après des mois de consultations et des allers-retours entre médecins, a marqué un tournant. Pas un soulagement, mais une clé pour comprendre ce que Lauren vit. « Mettre un nom sur ce mal, c’était déjà un début », raconte François.
Après le diagnostic, les premières années sont marquées par des épisodes particulièrement difficiles. Les périodes de calme sont interrompues par des crises où Lauren s’isole. « Je pouvais rester des jours sans sortir de notre chambre, paralysée par la peur d’un danger qui n’existait pas. Pendant ce temps, François tentait de me parler, mais je n’entendais rien », nous explique-t-elle. Petit à petit, ils construisent ensemble des stratégies adaptées. Ils fixent des règles simples mais cruciales : en cas de crise, Lauren envoie un message à François, même si c’est juste pour écrire « Je ne vais pas bien ». François, de son côté, apprend à ne pas insister quand elle a besoin de solitude. Ils ont aussi des rendez-vous réguliers avec un thérapeute, pour mieux comprendre le trouble et pouvoir chacun exprimer ce qu’il vit.
Parfois, Lauren se sent coupable de ce que sa maladie impose à leur couple. François, lui, apprend à ne pas tout prendre sur lui : « J’ai dû accepter que quoi qu’il se passe, le trouble serait toujours là, mais que dans les bons comme dans les mauvais moments, j’aurais toujours ma place à côté d’elle. » Aujourd’hui, leur quotidien est loin d’être parfait, mais ils avancent. Lauren suit un traitement qui aide à stabiliser certains symptômes, même si certains jours sont encore difficiles. François sait qu’il doit aussi penser à lui, et il prend régulièrement du temps pour se ressourcer.
Des épreuves qui renforcent le lien
Plus que l’amour, ce qui distingue une relation amoureuse face aux troubles psychiques, c’est l’intensité des épreuves qu’elle traverse. Une journée difficile peut en entraîner d’autres, laissant l’horizon incertain. Pourtant, au cœur de cette instabilité, une nouvelle forme d’intimité peut émerger. Elle se construit sur l’apprentissage du trouble, des efforts constants, des gestes simples mais essentiels, et de la vigilance. Cette intimité devient alors une source de solidité, mais elle a un prix : elle est parfois épuisante.
Cette réalité, Kendrys et Arthur l’ont affrontée dans toute sa brutalité. À peine un an après leur rencontre, Kendrys retombe dans ses démons. Une rechute brutale, marquée par deux tentatives de suicide en l’espace de quarante-huit heures. Arthur, désemparé, raconte : « Quand tu es amoureux, que tu vas bien, et que tu n’as jamais vécu ça, c’est un choc. Comment quelqu’un que tu aimes, et qui t’aime, peut aller si mal qu’il veut disparaître ? » Il marque une pause, cherche les mots justes. « Il faut du temps pour comprendre que ce n’est pas une question d’amour. Que l’amour, aussi puissant soit-il, ne peut pas tout réparer. »
De son côté, François n’oubliera jamais cette nuit où Lauren, submergée par le désespoir, s’est tenue au bord de la fenêtre, prête à sauter. « Je me souviens de ses mots : elle répétait qu’elle voulait juste que ça s’arrête, se rappelle François. J’ai réussi à l’éloigner, mais cette nuit-là, j’ai compris que je ne pouvais plus gérer seul. » Lauren a été hospitalisée pendant un mois. Une période difficile, mais nécessaire, selon François. « Au début, c’était un mélange de culpabilité et de soulagement. Culpabilité de ne pas avoir vu les signes avant qu’elle en arrive là, et soulagement de savoir qu’elle était prise en charge par des spécialistes. » Pendant cette hospitalisation, François a découvert la solitude du partenaire. « On ne sait pas quoi faire, ni à qui parler. Les amis ne comprennent pas toujours, et tu n’as pas envie de tout leur raconter. Pourtant, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à poser des mots sur ce qu’on vivait. »
Depuis le retour à la maison de Lauren, François a appris à reconnaître les cycles. « Parfois, ça va mieux, et puis une rechute arrive. Ce n’est pas linéaire, et c’est dur de ne pas sombrer soi-même dans cette instabilité. » Mais ce qui l’a le plus marqué, c’est la nécessité de distinguer la maladie de la personne. « La schizophrénie semble partout, elle envahit tout, mais ce n’est pas Lauren. Elle est bien plus que ça, même si c’est difficile à voir dans les pires moments. » Avec le temps, François a trouvé un réel équilibre, fruit d’un effort constant. « Ce n’est jamais simple, mais ça nous a rapprochés d’une manière que je n’aurais jamais imaginée. On apprend à grandir ensemble, malgré tout et aujourd’hui, il est impossible d’imaginer ma vie sans elle. »
Continuer d'avancer à deux
Les relations amoureuses confrontées aux troubles psychiques ne suivent pas les chemins classiques, s’éloignant des récits où tout semble aller de soi. Elles avancent sur un fil tendu, où chaque pas demande un effort, presque instinctif. Mais, dans cette marche hésitante et parfois semée d'obstacles, elles découvrent une profondeur insoupçonnée.
Les épreuves transforment. Elles poussent à se réinventer, à créer un nouveau langage, à redéfinir l’amour non plus comme un refuge fixe, mais comme une œuvre en constante évolution. Cet amour-là n’est ni simple ni évident, mais il porte en lui une vérité brute, une humanité sincère et une intimité qui grandit dans l’ombre des tempêtes. Ce n’est pas la promesse d’une vie sans difficultés, mais celle d’un chemin qui se construit pas à pas, main dans la main. Et, même lorsque les jours sont sombres, ce lien qui se tisse parfois dans la lutte devient une force rare, une lumière qui guide ceux qui osent s’y engager.
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