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Quand un trouble psy s’invite dans le couple : comment trouver un nouvel équilibre ?


Quand un trouble psychique s’invite dans le couple, c’est tout le quotidien qui peut être  bouleversé : la vie professionnelle, sociale, les relations sentimentales et parfois même l’amour qu’on se porte. Entre doutes, peurs et incompréhensions, certains couples parviennent à surmonter cette épreuve ensemble, tandis que d’autres prennent des chemins différents. Mais bien que ces moments soient difficiles, ils peuvent aussi offrir l’opportunité de réinventer la relation et de se redécouvrir autrement. Pour mieux comprendre ce qui se joue dans ces moments, Plein Espoir a rencontré Juliette (1), qui a accepté de nous raconter son histoire avec Karim, diagnostiqué d'un trouble bipolaire alors qu’ils étaient déjà en couple, pour nous raconter comment ils ont pu retrouver un nouvel équilibre à deux.

« Tu as changé, tu n’es plus le même », « Je ne sais pas quoi faire pour t’aider »… Ces phrases, on les entend souvent quand le trouble psychique vient perturber la relation amoureuse. C’est normal, car parfois le trouble emporte tout : les repères, ce qu’on a construit à deux, et l’idée qu’aimer, c’est toujours avancer dans la même direction. D’une manière ou d’une autre, le trouble modifie parfois grandement la trajectoire personnelle de celui qui vit avec, le quotidien, et peut même questionner l’amour que l’on ressent pour l’autre. Certaines personnes parviennent à surmonter les épreuves ensemble et à renforcer leur lien, tandis que d’autres choisissent des chemins différents. Mais même si cela reste difficile, chez Plein Espoir, nous sommes convaincus que ces moments sont aussi des occasions de se réinventer. Pourquoi ? Parce qu’ils nous poussent à mieux comprendre qui nous sommes, à exprimer nos limites et nos besoins, et à repenser ce que l’on veut ou peut offrir dans l’amour. La véritable question n’est donc pas de savoir si l’amour peut tout sauver, mais plutôt comment la relation peut s’adapter à ces nouvelles réalités de la vie.

Un trouble qui bouleverse tout

Juliette a 24 ans et cela fait trois ans qu’elle est en couple avec Karim. Leur histoire était simple et heureuse, jusqu’à ce que tout bascule. Un soir, après une semaine de travail intense, Karim sort avec des amis. Puis, plus de nouvelles. Il disparaît pendant deux jours. Inquiète, Juliette tente de le joindre, en vain. C’est finalement un ami commun qui le retrouve dans un bar. Il n’a pas dormi, il a pris de la drogue et se comporte de manière incontrôlable. La situation dégénère, la police intervient et Karim est conduit à l’hôpital. Là, les médecins posent un premier diagnostic : il a fait une crise maniaque et souffre très probablement d’un trouble bipolaire. D’ordinaire, il faut des années avant qu’un tel trouble ne soit identifié, les retards de diagnostic peuvent aller au-delà de dix ans. Mais dans son cas, les choses vont vite : l’un de ses parents étant déjà repéré comme tel, les médecins n’ont pas mis longtemps à reconnaître les signes.


Juliette se souvient : « Quand les médecins ont parlé de bipolarité, ça m’a fait peur. Je ne connaissais rien à cette maladie. Et puis, j’ai toujours pensé qu’il valait mieux privilégier l’accompagnement plutôt que les médicaments. Mais là, il n’avait pas le choix. » Comme beaucoup, elle imaginait d’abord que les traitements médicamenteux étaient trop lourds, qu’un suivi psychologique suffirait peut-être. Mais face à la gravité de la situation, elle comprend que Karim en a besoin pour se stabiliser. Son regard sur la maladie évolue : elle réalise que les médicaments ne s’opposent pas à l’accompagnement, mais qu’ils sont en l'occurrence une aide nécessaire pour retrouver un équilibre. Très vite, Juliette comprend qu’il ne suffit pas de savoir théoriquement ce que signifie être bipolaire : il faut apprendre à vivre avec, au quotidien. Les émotions de Karim peuvent être intenses, imprévisibles, et sans repères clairs, tout devient plus difficile. Elle réalise alors l’importance d’un cadre stable et rassurant, autant pour lui que pour elle. Des routines, des limites, des repères : tout cela l’aide à ne pas se laisser emporter par les hauts et les bas, et à préserver un équilibre dans leur relation.


Après l’épisode de perte de contrôle et le choc du diagnostic, Karim tombe dans une profonde dépression. Dans son cas, l’adaptation aux effets des médicaments est assez difficile durant les premiers mois. Les antipsychotiques, nécessaires pour le stabiliser, le fatiguent énormément. Il se sent ralenti, vidé, comme déconnecté de lui-même. Et en plus, il faut du temps pour ajuster le bon dosage, ce qui rend cette période encore plus compliquée. Après trois semaines à l’hôpital, il est transféré en clinique de repos pour plusieurs mois. Quand il en sort, il ne se sent pas capable de reprendre sa vie d’avant. Il décide alors d’arrêter de travailler, de rendre son appartement et de retourner chez ses parents. Un choix difficile, mais qui lui permet d’être accueilli dans un cadre rassurant, où il peut se reposer et essayer d’aller mieux. Juliette, déjà bouleversée par tout ce qu’il a vécu, doit maintenant faire face à un homme qui semble absent. « Parfois, il n’avait pas l’énergie pour sortir ou même me parler. Il m’a fallu du temps pour comprendre que ce n’était pas moi qu’il rejetait, mais juste qu’il allait mal. » Elle apprend à ne pas tout prendre pour elle, à accepter que Karim ait besoin de temps. Leur relation change, elle doit s’adapter. L’amour est toujours là, mais il doit maintenant cohabiter avec la maladie.


Avec le temps, Juliette réalise que la maladie a changé Karim. Même s’il reste le même, leur relation évolue avec cette nouvelle réalité. Petit à petit, elle s’adapte et se recentre sur l’essentiel : l’amour qui est toujours là. Mais ce n’est pas toujours simple. « Parfois, je ne savais pas comment agir avec lui, ni comment l’aider au mieux. » Dans ces moments-là, il est normal d’adopter un comportement différent avec son partenaire. Ces réactions sont propres à chacun. On peut choisir de ne pas en parler pour éviter de brusquer ou d’être maladroit, on peut vouloir beaucoup s’investir, comme si on avait une mission à accomplir, et parfois, on a juste besoin de prendre du recul et de s’éloigner un peu pour souffler. Peu importe la réaction, avancer ensemble demande de la force, surtout quand l’avenir est incertain.

Trouver un nouvel équilibre

Dans un couple, quand l’un des deux traverse une période difficile, une question revient souvent : que peut-on attendre de l’autre ? Au début, les partenaires essaient souvent de sauver l’autre, avant de comprendre que ce n’est pas possible. Il faut accepter qu’être simplement là, présent pour l’autre, c’est déjà beaucoup. Quand Karim est retourné vivre chez ses parents, Juliette a eu du mal à trouver sa place. Elle voulait l’aider, mais malgré tous ses efforts, elle avait l’impression que rien ne changeait. Elle lui préparait à manger, lui proposait de sortir, organisait des moments à deux. Pourtant, Karim restait distant, comme si sa présence ne faisait aucune différence. Ce n’est qu’en parlant avec un professionnel que Juliette a compris que ce n’était ni un manque d’amour ni un rejet. Sous l’effet des médicaments et encore épuisé, Karim n’arrivait plus à exprimer ce qu’il ressentait. Il avait besoin de temps pour se reconnecter à ses émotions. Même s’il paraissait distant, le fait que Juliette reste présente et prenne soin de lui était déjà une étape importante dans sa reconstruction.


L’histoire de Juliette et Karim montre que vivre avec un trouble psychique, ce n’est pas juste apprendre à gérer des changements au quotidien. C’est aussi un travail de chaque jour pour adapter la relation, trouver des solutions et avancer ensemble. Le couple évolue, et chacun doit apprendre à s’adapter. Aujourd’hui, Karim suit un traitement mieux adapté et son état s’est stabilisé. Mais l’équilibre reste fragile. « Maintenant, quand il y a un problème, on a mis en place des codes, comme des émojis pour expliquer nos émotions. Je suis vraiment contente de ses progrès, parce qu'à un moment, j’avais arrêté de sortir, je riais moins, je ne faisais plus de projets… Je sentais que ça commençait à peser sur ma propre santé mentale. »


L’année suivant la première crise de Karim, beaucoup ont conseillé à Juliette de le quitter pour se protéger. Mais elle a choisi de rester, par amour. « J’ai failli partir tellement de fois. Ça aurait été plus simple, mais je l’aime encore, alors je m’accroche. » Karim culpabilise souvent après une crise et fait tout pour aller mieux. En plus de son traitement et de ses rendez-vous chez son thérapeute, il a testé l’hypnose, la sophrologie, tout ce qui pourrait l’aider à mieux gérer ses émotions. Sa détermination donne de l’espoir à Juliette. « Si on traverse tout ça ensemble, on sera peut-être plus forts que les autres couples. Et si ça ne marche pas, au moins, on aura tout essayé. » Au début, elle était perdue, effrayée par un diagnostic qu’elle ne comprenait pas. Aujourd’hui, elle a appris à mieux comprendre la bipolarité et à s’adapter aux changements de Karim.

Surmonter les obstacles

Nous le savons, un trouble psychique peut bouleverser une relation. Il change la façon d’interagir, oblige à revoir ses attentes et redéfinit la place de chacun dans le couple. Comme l’a vécu Juliette, l’annonce du diagnostic est un choc, autant pour la personne concernée que pour ses proches. Dans ces moments-là, certains projets doivent être mis en pause : vivre ensemble, fonder une famille, voyager… Le temps de retrouver un équilibre. Mais cela peut aussi créer des frustrations, surtout quand les envies ou les priorités ne sont plus les mêmes. Ce décalage, qu’il concerne de grands projets ou des petites choses du quotidien, est parfois difficile à accepter. On aimerait savoir où l’on sera dans quelques mois, mais la vérité, c’est qu’on ne peut pas le prévoir. La seule chose à faire, c’est avancer, à son rythme, ensemble.


Ce n’est pas un secret : la communication aide à traverser les moments difficiles. Quand c’est possible, il est important de parler de ce qu’on ressent, de ses besoins et de ses limites, sans craindre le jugement de l’autre. Ouvrir le dialogue permet d’éviter que chacun se referme sur lui-même et de garder un lien fort dans la relation. Il faut aussi accepter que tout ne se règle pas du jour au lendemain. Ces épreuves sont difficiles, mais elles peuvent aussi être l’occasion de réinventer la relation. L’amour évolue, devient plus fort et plus profond, quand chacun apprend à accepter ses fragilités et à avancer à son rythme, sans pression ni reproche.


Parfois, il faut le dire, tout le monde n’a pas la force de rester, comme Juliette l’a fait. Un choix individuel qui compte aussi certains déterminants socio-culturels, ou de genre : certaines études constatent ainsi que les femmes ont six fois plus de risque de connaître une rupture amoureuse pendant un cancer ou une maladie grave que les hommes. Trouver un nouvel équilibre prend du temps et n’est jamais simple. Il y a des moments de doute, des périodes où tout semble trop lourd à porter, où l’on se demande si continuer est encore possible. Mais l’histoire de Juliette et Karim est un bel exemple de patience et de persévérance. Leur relation montre qu’on peut ajuster ses attentes, redéfinir ses projets et avancer autrement. Ce n’est pas facile, mais leur parcours prouve que l’on peut traverser ces épreuves ensemble, à son rythme, sans avoir toutes les réponses dès le départ.


Cela dit, une relation qui ne survit pas à un trouble psychique n’est pas un échec. Parfois, les chemins se séparent, et ce n’est pas une fin en soi, mais une étape. On apprend aussi de ces expériences : même avec tout l’amour du monde, certaines histoires prennent une autre direction. L’essentiel, c’est d’avoir essayé et fait de son mieux. Alors, que l’on avance ensemble ou chacun de son côté, il y a toujours une manière de se reconstruire. Ces épreuves de la vie nous aident à mieux nous connaître et à nous rapprocher de ce qui nous fait vraiment du bien.

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l'anonymat des personnes interviewées.

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