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Se reconstruire ensemble : la force de la pair-aidance

La pair-aidance, c’est l’idée simple et essentielle que ceux qui ont traversé une épreuve peuvent aider ceux qui la traversent encore. Dans un monde où les troubles psychiques sont souvent mal compris, où la parole peine à circuler et où l’isolement devient une souffrance supplémentaire, ce soutien entre pairs prend tout son sens. Chez Plein Espoir, on a bien conscience qu’il ne remplace pas les soins médicaux, mais il apporte ce que les professionnels ne peuvent pas toujours offrir : une reconnaissance immédiate, un partage d’expérience sincère, une écoute sans jugement. C’est une autre manière d’avancer, ensemble.

Un jour, sans prévenir, quelque chose ne tourne plus rond. L’énergie manque, l’angoisse serre la poitrine, les pensées filent dans tous les sens ou restent bloquées. On essaie de comprendre ce qui nous arrive, de reprendre le contrôle, mais rien n’y fait. Tout nous échappe. Et on se met à douter : est-ce que ça va s’arrêter ? Pourquoi est-ce que ça nous arrive maintenant ? On regarde autour de soi, personne ne semble avoir connu ce qu’on traverse. On aimerait pouvoir en parler, se reposer sur quelqu'un qui ne soit pas forcément un médecin. Mais qui est vraiment capable de comprendre sans le vivre soi même ? De toute façon, c’est trop difficile à décrire, trop nouveau, trop perturbant. Par peur du rejet ou pour éviter d’être stigmatisé, il est fréquent que les personnes concernées par les troubles psychiques décident de tout garder pour elles, même si ça signifie affronter quelque chose de généralement trop grand pour soi. C’est là que la pair-aidance peut tout changer. Parce que même si on peut penser qu'on est seul avec notre souffrance, il y a toujours des personnes qui sont passées par là. Des personnes qui savent exactement ce qui se passe dans notre corps et dans notre tête, pas parce qu’elles l’ont lu dans un livre, pas parce qu’elles l'ont entendu, mais parce qu'elles l’ont vécu.

Un soutien né de l’expérience partagée

« J’ai vraiment compris que quelque chose n’allait pas quand les crises d’angoisse sont devenues quotidiennes, raconte Julie (1), 37 ans. Pendant des semaines, je n’arrivais plus à sortir de ma chambre. J’avais un poids sur la poitrine, mon cœur battait très vite et je n'arrêtais pas de me dire que j'allais faire une crise cardiaque. Mes parents ont fini par m’emmener à l’hôpital. Là-bas, on m’a stabilisée, puis transférée dans une maison de repos. C’est la première fois que les médecins m’ont parlé du trouble anxieux généralisé. Pour aller mieux, il n'y avait pas de recette magique : je devais prendre des médicaments tous les jours et accepter ce qui m'arrivait. »

Dans le centre, les pathologies sont lourdes. Julie observe les autres patients et a du mal à accepter qu’elle soit « comme eux ». L’idée même lui fait peur. Elle se sent enfermée dans un endroit où elle ne se reconnaît pas, où elle refuse de s’identifier aux parcours brisés qu’elle croise. Quand elle sort, deux mois plus tard, elle ne va pas mieux et sa psychiatre l’oriente vers un Clubhouse à Lyon, un espace où l’on peut se reconstruire à son rythme, entouré de personnes qui ont traversé les mêmes épreuves, sans médecin, non-médicalisé, et où les activités sont décidées en co-gestion, par les membres et les animateurs.

Là, elle rencontre une femme qui décrit quelque chose qui lui parle. Même solitude, même vertige face à la vie, mêmes angoisses qui l'empêchent de faire ce qu'elle veut. Mais elle, elle a l’air d’aller bien. Elle lui raconte comment elle a réussi à reprendre pied, à travailler, à se faire de nouveaux amis et même comment elle a trouvé un compagnon qui l’accepte comme elle est. Son quotidien n’est peut-être pas exactement celui d’avant, mais elle se dit rétablie, elle a retrouvé un équilibre. Pour la première fois, Julie entrevoit une possibilité : celle d’une vie après le trouble. « La première fois que je l’ai rencontrée, elle a commencé par me parler de son parcours. J’avais tout le temps envie de la couper, dire “eh, moi aussi !”, elle avait réussi à trouver les mots pour décrire ce que je vivais à l'intérieur de moi. J’étais si heureuse de ne plus être seule. En plus, j’avais un exemple qui arrivait à mener une vie presque normale ! »

 

Échanger avec quelqu’un qui a traversé les mêmes tempêtes, ça donne du souffle à tout le monde, pas seulement à Julie. Ça permet de poser des mots sur ce qui nous arrive, de comprendre que non, qu’on n’est pas condamné à rester enfermé dans cette souffrance. Que d’autres s’en sont sortis et que nous aussi, on peut y arriver. Parfois, il suffit d’une phrase, d’une anecdote pour que tout change. « Ce n’est pas une solution magique, mais moi ça a été très important pour commencer à accepter mon trouble et faire la paix avec ce que je vivais », ajoute la jeune femme. La pair-aidance, ce n’est pas qu’une entraide ponctuelle, c’est une manière de se reconstruire avec l’autre, d’apprendre que l’on peut avancer ensemble. « Mais ce qui m’a frappée dans notre lien avec cette femme, c’est qu’il était réciproque, raconte Julie. Avec elle, je n’avais pas besoin de justifier ce que je ressentais, elle comprenait d’un regard. Je pouvais dire tout ce qui me passait par la tête sans avoir peur d’être jugée, sans avoir à m’expliquer. C’était un soulagement. Et puis un jour, elle m’a dit quelque chose qui est resté : pour elle aussi, ce lien comptait. Se sentir utile, transmettre ce qu’elle avait appris, ça la valorisait. Ce n’était pas une relation à sens unique, c’était une vraie rencontre, une entraide mutuelle. »

La force du collectif

Pascal Gibon sait aussi ce que c’est de perdre pied, de voir tout ce qu’on avait imaginé pour soi s’effacer d’un coup. « En 1995, alors que j’étais étudiant en droit, une crise est venue, une bouffée délirante. Petit à petit, j’ai perdu le contact avec la réalité. Mon père qui avait déjà des troubles psychiques, m’a amené voir un psychiatre. » Hospitalisé à domicile, il traverse ensuite une période où plus rien ne fait sens. « Je regardais la télé et je pleurais. J’étais hypersensible, incapable de contrôler les crises de larmes et les angoisses. Dans ces moments-là, on ne s’appartient plus. » Il faut alors réapprendre à avancer autrement. « Mon rêve, c’était de faire Sciences Po, mais là ce n’était plus possible. » Il décide tout de même de reprendre des études au CNAM et retrouve peu à peu ses capacités. « Cognitivement, c’est revenu doucement. » Mais ce qui l’a vraiment aidé, c’est le lien aux autres. « Quand j’étais en crise, j’avais besoin d’amour, de donner et de recevoir. Je l’ai trouvé auprès d’une femme et ça m’a fait repartir. J’en ai tiré une leçon : la vie et le rétablissement passent forcément par la communication, par la connexion à l'autre. C’est essentiel. » À cette époque, on ne parle pas encore de pair-aidance et c’est un peu plus tard par son engagement associatif qu’il trouve un chemin vers les autres. « Travailler avec des personnes en situation de handicap a été une révélation. J’ai compris qu’il ne fallait pas chercher à dépasser le handicap, mais tout faire vivre le mieux possible avec. »

Avec le temps, il s’investit davantage, prend des responsabilités, jusqu’à porter un projet ambitieux : faire dialoguer des mondes qui, d’ordinaire, s’ignorent. Le social, le sanitaire, la psychiatrie, l’éducation nationale. L’idée ? Construire un espace de pair-aidance collective, un lieu où l’on peut échanger, s’entraider, reconstruire des ponts entre les parcours de vie et les institutions. En 2018, un grand colloque voit le jour. On y parle d’entraide, de reconnaissance des droits, mais aussi d’accès à l’emploi, au logement, à la formation. De ces discussions naît le Conseil d’Entraide Vivre. « Au départ, c’était un collectif de quinze personnes, toutes en colère, lassées des délais d’attente et des batailles administratives. » Aujourd’hui, ce collectif est devenu un véritable espace de ressources. Il aide chacun à mieux connaître ses droits, à changer le regard sur le handicap et la santé mentale. Il sensibilise les enfants, les entreprises, les familles, la société tout entière. Mais aussi, il accompagne celles et ceux qui veulent s’engager comme pair-aidants, en leur donnant les moyens d’agir, de soutenir à leur tour. Un mouvement construit par et pour ceux qui vivent avec des troubles, pour que personne ne reste seul face à sa souffrance.

« On n’est pas là pour remplacer les professionnels, mais pour mettre les gens en contact avec les bonnes personnes. Mais aussi pour combler le manque d’horizon. Quand on est en milieu médicalisé, on gère la crise, mais qu’est-ce qu’on fait après ? Où est-ce qu’on va ? Comment retrouver une place quelque part ? Ce n’est pas simple », explique Pascal Gibon. Ici, comme au Clubhouse, la parole circule, sans filtre, sans crainte du jugement. Chacun raconte son histoire, mais aussi ce qui lui donne envie d’y croire encore. « Moi, je veux juste un appartement, un chien, une vie normale », entend souvent le fondateur du Conseil d’entraide Vivre. Derrière ces mots, il y a un besoin de stabilité, de repères, de quelque chose qui ressemble à une vie ordinaire. Alors on échange, on partage des pistes. On parle d’emplois accompagnés, de dispositifs de soutien, de solutions que personne ne nous avait données avant. Peu à peu, les murs tombent, les portes s’entrouvrent.

Une entraide qui change tout

La pair-aidance qu'elle soit collective ou non, c’est bien plus qu’un simple coup de main, c’est un passage de témoin. Une preuve vivante que l’on peut aller mieux, que rien n’est figé. Ceux qui sont passés par là ouvrent la voie à ceux qui hésitent encore, à ceux qui n’osent plus espérer. Ils n’ont pas de solution miracle, mais ils savent ce que c’est que de vivre avec le trouble, d’avoir l’impression que plus rien n’a de sens. Ils savent aussi que, parfois, il suffit d’une rencontre pour que tout change. Un mot entendu au bon moment, un regard qui comprend sans qu’on ait besoin de parler, et l’horizon s’éclaire un peu. On se sent moins seul, on retrouve un peu de souffle.

Mais la pair-aidance, c’est aussi se redécouvrir soi-même. À travers l’autre, on prend conscience de sa propre évolution, on réalise qu’on peut être une aide précieuse, un repère pour quelqu’un d’autre. Échanger, c’est aussi apprendre sur soi, reconnaître qu’on n’est pas uniquement en quête d’un soutien, mais qu’on peut en apporter aussi. Se voir utile, sentir qu’on a quelque chose à transmettre, c’est une étape clé dans le rétablissement. Ce qui sauve, parfois, ce n’est pas juste d’être compris, c’est aussi de comprendre qu’on compte encore, qu’on peut jouer un rôle, que notre expérience, aussi douloureuse soit-elle, peut servir à d’autres.

Parce que se relever, ce n’est pas toujours une question de volonté, ça peut être une question de lien. Être compris, être entendu, ça fait toute la différence. Et c’est bien là toute la force de la pair-aidance : permettre à chacun de se reconstruire, à son rythme, avec l’appui de ceux qui savent. Qui savent, non pas parce qu’ils ont appris, mais parce qu’ils l’ont vécu.


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21 février 2025

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