Se rétablir à deux : la relation amoureuse comme espace d’épanouissement
Face aux troubles psychiques, la relation amoureuse peut parfois devenir un refuge inattendu, un espace où la bienveillance et la compréhension redessinent les contours du quotidien. Avec Julien, Julia, diagnostiquée à 20 ans d’un trouble anxieux généralisé, découvre que si l’amour ne répare pas tout, il peut rendre les douleurs plus supportables, les ombres moins pesantes. Convaincus chez Plein espoir que celles et ceux qui traversent ces réalités en parlent le mieux, nous lui laissons la parole pour nous raconter son histoire.
Depuis plus de dix ans, je vis avec un trouble anxieux. Une présence silencieuse mais envahissante, qui s’invite dans tous les recoins de mon quotidien. Les attaques de panique surgissent sans prévenir, souvent dans les transports en commun ou quand la fatigue est trop importante. Avec le temps, elles ont commencé à redessiner les contours de ma vie, à limiter mes choix, à rétrécir mon monde. Mon travail doit être proche de chez moi. Chaque sortie avec des amis se transforme en un exercice de planification minutieuse : Comment me rendre au restaurant ? Dans quel quartier ? Est-ce qu’il y a une échappatoire si une crise survient ?
Pour rester dans le monde, j’ai appris à faire semblant. Non pas parce que je ne fais pas confiance à mes proches, mais parce que la peur du jugement est très prégnante. Je ne veux pas que mon trouble définisse mon identité, que les autres ne voient plus que cela en moi. Alors, je m’excuse, je décline, j’invente des raisons. C’est plus simple que d’expliquer. Le trouble psy reste encore tabou et en amour, c’est très compliqué. J’ai toujours eu cette crainte que l’autre me perçoive comme « celle qui ne va pas bien », qu’il s’éloigne ou, pire, qu’il reste, mais avec ce regard de pitié que je redoute tant. Alors, j’ai pris l’habitude de tout garder pour moi, de ne pas vraiment m’ouvrir aux autres.
Quand je rencontre Julien lors d’une soirée d’anniversaire, je le vois comme une grande bouffée d’air. Il est tout ce que je ne suis pas : audacieux, effronté, casse-cou. Même si son travail humanitaire l’amène à affronter des situations extrêmes, il avance avec une grande sérénité.
Enfin oser se montrer avec ses vulnérabilités
À son contact, il se passe quelque chose d’inattendu. Je ne veux plus que mes peurs continuent de prendre le contrôle de ma vie, qu’elles nous enferment dans les limites que je connais déjà si bien. Alors, même si je suis terrifiée, je commence à bouger, à essayer autre chose. Un rendez-vous à une heure de chez moi ? J’accepte, même si je dois respirer profondément tout le long du trajet et que mes mains suent sur la barre du métro. Une soirée dans une boîte de nuit bondée ? Je me lance, au pire, il me ramènera. Sa présence suffit à apaiser cette petite voix en moi qui répète sans cesse : « Et si ? »
Les mois passent, et un jour, je m’arrête pour regarder en arrière. Je réalise tout ce que j’ai osé faire, des choses qui me semblaient impossibles. Bien sûr, je ne suis pas « guérie ». Dans mon sac, il y a encore des médicaments prêts à m’aider si ma respiration s'emballe et que cette impression d’être piégée revient. Mais je n’ai plus peur de mourir à cause d’une crise.
Après, il y a toujours un mur entre Julien et moi. Une part de moi qu’il ne connaît pas encore. Chaque matin, je me cache pour prendre mes médicaments, comme si j’essayais d’effacer ce qu’ils représentent. L’amour qui grandit entre nous me fait penser que je peux peut-être lui en parler. Peut-être que lui comprendrait. Peut-être que, cette fois, il est possible de me dévoiler totalement, avec tout ce que cela implique. Alors, un soir, je prends une grande inspiration et je lui dis que j’ai un trouble anxieux pour lequel je suis suivie depuis plusieurs années et que je prends des médicaments chaque jour.
Il est surpris. Il me dit qu’il n’aurait jamais imaginé tout ce qui se jouait derrière mes silences et certains de mes gestes. Avec nos amis, je garde toujours le même verre de vin à la main, souriante, pendant que les autres enchaînent les tournées. Quand la peur monte, je mâche frénétiquement des chewing-gums pour réguler ma respiration, comme si ce simple mouvement pouvait remettre de l’ordre dans mon chaos intérieur. Lors de nos voyages, je m'accroche à mes exercices d’auto-hypnose ou je plonge dans des grilles de mots-fléchés, un refuge mental pour ne pas penser à la possibilité, pourtant infime, d’un danger imminent.
L’intimité, un chemin vers la guérison
Quand je lui parle, il prend le temps de m’écouter. Vraiment. Julien ne rit pas, il ne change pas de sujet, il ne fuit pas. Mais je comprends qu’il minimise mon état. Pas par méchanceté ou par manque d’intérêt, mais peut-être par maladresse, ou parce que lui, qui n’a peur de rien, a du mal à concevoir l’ampleur de ce que je vis. Il me lance des phrases comme : « Tu n’es pas malade, tu es juste un peu stressée, ça arrive à tout le monde, non ? » Même si je ne suis pas vraiment comprise, ce n’est pas grave. Je ne suis pas rejetée et c’est le plus important. Peut-être parce que son ton est bienveillant, peut-être parce qu’il ne cherche pas à me réparer. Pour lui, ce trouble n’est ni un obstacle, ni un fardeau, c’est simplement une part de moi. Une part qu’il accepte malgré tout.
C’est là que je découvre une vérité essentielle : l’amour ne guérit pas, mais il peut être un espace sûr, un lieu où l’on trouve la force de se reconstruire, pas à pas. Avec Julien, j’apprends que l’intimité peut être réparatrice. Il accepte ma vulnérabilité, et peu à peu, cela m’aide à m’accepter un peu plus. Depuis très longtemps, je ne suis plus en guerre contre moi. Je ne me déteste plus.
Dans nos moments de tendresse, je puise un réconfort qui m’apaise plus qu’aucun médicament ou aucune séance chez le psy. Nos rituels – lui qui me tient la main dans les moments où je suis envahie par la peur, moi qui l’aide à relire ses dossiers pour son travail – sont devenus des ancrages, des gestes simples mais essentiels. Son écoute sans jugement et sa patience m’ont offert une chose précieuse : le sentiment que je n’étais plus seule dans ce combat.
Quand je traverse des périodes difficiles, parce que ça m’arrive encore, Julien ne me force pas à sortir. Il est simplement là. Il prépare des plats que j’aime, il raconte des blagues pour alléger l’atmosphère, et il prend sur lui les excuses pour nos amis, affirmant que c’est de sa faute si on ne peut pas venir. Il rassure aussi ma famille, les préserve de mes angoisses, et me protège de tout un tas de questions stressantes. Il a su instaurer un équilibre, apaiser les tensions sans jamais me faire sentir coupable de ce que je vis.
L’amour peut être un refuge où l’on apprend à faire la paix avec soi
Grâce à lui, j’ai compris qu’une relation saine et stable était possible et surtout qu’elle pouvait devenir un refuge, un espace où l’on dépose ses armes, où l’on apprend à respirer autrement. Sa manière d’accueillir mes failles sans chercher à les combler, de répondre à mes silences par des gestes simples mais lourds de sens, m’apaisent. Avec lui, l’amour n’a rien d’un remède magique. Il est un terreau, patient et fertile, où, doucement, on reprend racine.
Même si je ne fais presque plus de crise, je sais que je ne suis pas « guérie ». Les ombres sont toujours là, tapis dans un recoin de mon esprit, prêtes à surgir. Mais les périodes de tempête sont de moins en moins violentes. Peut-être est-ce la stabilité émotionnelle qu’il m’offre, ou simplement cette certitude d’être aimée telle que je suis, sans condition. Cela me donne la force de remonter la pente plus vite, de retrouver la lumière. Après, je sais que tous les troubles ne se ressemblent pas, que chacun impose ses propres défis à ceux qui les partagent. Et je sais aussi que tout le monde n’a pas la chance de croiser quelqu’un comme mon fiancé, d’une patience et d’une douceur infinies.
Mais peut-être qu’il en va ainsi : lorsque l’on porte en soi un trouble, on s’attarde davantage, on prend le temps de chercher, de scruter les cœurs, de distinguer ce qui est vrai de ce qui brille faussement. Si cette démarche, exigeante et semée d’obstacles, demande courage et lucidité, elle en vaut la peine. Parce que, lorsque cette personne entre enfin dans notre vie, elle peut, par sa seule présence, repousser les murs de nos peurs et nous inviter à voir le monde sous un jour que l’on croyait perdu.
NB : Les prénoms ont été changés afin de préserver l'anonymat des personnes interviewées.
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