Troubles psychiques au travail : doit-on en parler, quand et comment ?
Parler de nous, dans l’environnement personnel ou professionnel, est un exercice complexe. Que dire, où commencer et où finir ? Comment rester authentique sans avoir l’impression de trop se dévoiler ? La communication n'est pas une chose innée et il est souvent difficile de parvenir au juste équilibre. Ne serait-ce que parce que chaque interlocuteur est spécifique, avec son contexte et sa qualité d'écoute à lui.
Pourtant il paraît souvent opportun de se lancer, qu'il s'agisse d'affirmer son identité, d'exprimer des besoins ou de tisser des liens sains et sincères avec d'autres humains - qu'ils soient des amis, collègues ou managers. Mais lorsque la question devient celle de notre santé mentale et, dans certains cas, d’un trouble associé, le défi s'amplifie. Et d’autant plus dans un cadre professionnel, souvent jugé comme peu propice au registre émotionnel et valorisant la performance et la rationalité. Alors comment aborder notre fragilité au travail à bon escient sans risquer de remettre en cause notre légitimité ?
Avant même de se poser la question du comment, il est essentiel de trouver nos réponses au pourquoi. Pourquoi choisir de parler de notre trouble psychique - ou non - à notre employeur et/ou à nos collègues ? Pourquoi prendre le risque de nous exposer quand celui-ci peut être source d’incompréhension ou, pire, de discrimination, encore trop souvent associé à un point faible alors qu’il peut être également une ressource ? Une fois que le pourquoi est pour soi clarifié, il s’agit ensuite de trouver les mots pour le dire - si on choisit d'en parler.
Oser parler quand le tabou fait obstacle
Bien que la question de la santé mentale soit de plus en plus abordée dans l’espace public et médiatique, sans toujours une clarification des concepts, de nombreux travailleurs considèrent encore leur milieu professionnel comme un espace où il est difficile de parler de leurs problématiques personnelles. Parler de (notre) santé mentale au travail reste un véritable tabou qui fait peur. En cause : un manque d'information, d'outils et de sensibilisation adaptés — un défi auquel certains acteurs tentent de remédier comme Santé mentale France. Ce n'est d’ailleurs que récemment que la loi a rendu obligatoire la protection de la santé physique et mentale des travailleurs.
En France, chaque année, une personne sur cinq est touchée par un trouble psychique, et près d’un salarié sur deux se déclare en détresse psychologique. Parallèlement, les cas de dépression et les burn-out continuent d’augmenter. Combien de ces personnes osent vraiment aborder ces enjeux personnels sur leur lieu de travail ? Combien sont prêtes à expliquer les difficultés liées à leur concentration, motivation, régulation émotionnelle ou autres comportements altérés ?
Dans le cadre des démarches liées à la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH), il peut exister une forme de dialogue amorcé, car la reconnaissance administrative ouvre la voie à un cadre spécifique de soutien et d'accompagnement. Pour ceux qui ne bénéficient pas de la RQTH, l'absence de dispositifs adaptés rend encore plus difficile l'expression de leurs besoins ou de leurs difficultés. En l'absence de reconnaissance formelle, beaucoup de salariés se retrouvent dans une situation de silence ou de minimisation de leurs souffrances, faute d'un espace sécurisé où exprimer leurs préoccupations et leurs besoins.
Le travail est au cœur de mes échanges avec ma psychiatre. À chaque séance, je lui parle de l'anxiété qu'il génère et des stratégies que je mets en place pour équilibrer ma vie personnelle et professionnelle. Elle m'accompagne pour que je puisse m'épanouir tout en me préservant. Un jour, elle m'a proposé la RQTH comme moyen de parler de mon trouble psychique à mon employeur et de bénéficier d'aménagements adaptés. Je n'y ai pas eu recours, mais cela m'a fait reconsidérer la possibilité d’aborder ma fragilité avec mon employeur, en envisageant des solutions concrètes. - Camille, juriste et personne concernée
Trouver les bonnes raisons d’en parler
Parce qu’ils peuvent avoir de lourds impacts sur notre travail quotidien, parler des troubles psychiques en entreprise ouvre la voie à des solutions concrètes et permet de mieux comprendre et gérer sa situation. Bien que de nombreux obstacles puissent freiner cette démarche, le dialogue est souvent la clé pour faciliter la mise en place de mesures adaptées, en collaboration avec la médecine du travail. Ces ajustements peuvent aller de la modification des horaires à des outils ergonomiques, et ainsi alléger les difficultés liées au trouble.
Parler de sa fragilité au travail, ce n’est pas faire preuve de faiblesse, c’est au contraire se donner les moyens de sa performance. Vivre avec un trouble, c’est aussi apprendre à travailler avec, en trouvant les solutions qui nous conviennent. Lorsque l’on parvient à ajuster son environnement et ses méthodes de travail, on peut non seulement mieux gérer ses défis, mais aussi s’épanouir sur du long terme.
Ceci étant dit, il est important de rappeler que certains environnements de travail sont plus ouverts et réceptifs à ces questions. Il est ainsi nécessaire de considérer chaque situation individuellement, en raison des tabous persistants et des réalités propres à certaines entreprises. Vivre avec un trouble de santé mentale implique de naviguer et de cheminer jusqu’à trouver le cadre adapté à soi.
Comment s’y prendre ?
Dans La vérité sur les troubles psychiques au travail (Payot), la sociologue Claire Le Roy Hatala aborde le tabou de la santé mentale en entreprise et propose des clés de compréhension pour les salariés et les managers. Elle recommande de parler de soi plutôt que de son trouble, car ces derniers ne nous définissent pas en tant que personne, mais peuvent être vus comme un outil pour instaurer le dialogue. Il s'agit de se concentrer sur les répercussions concrètes du trouble dans notre quotidien professionnel, plutôt que sur la maladie en elle-même, et de proposer des solutions pratiques pour minimiser l'impact, sur nous et sur les autres.
Le témoignage d'Ange dans le podcast Plein Espoir - vivre bien avec son trouble psy illustre parfaitement cette approche. En évoquant le désagrément des réunions trop tardives, elle découvre que ce créneau dérange aussi ses collègues. Ce simple ajustement a ouvert un espace de dialogue constructif et a permis de repenser l’organisation du travail pour le bien-être du collectif. Les troubles psychiques peuvent ainsi devenir un levier pour renforcer l’écoute et améliorer le bien-être de tous.
Chez Plein Espoir, nous croyons en un environnement de travail où chacun peut s’épanouir, et nous nous engageons à promouvoir des pratiques et des solutions qui mettent la santé mentale au centre des préoccupations. Au-delà des objectifs et des résultats, la santé mentale des individus reste la clé d’un parcours professionnel durable.
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