Troubles psychiques : gérer les non-dits au sein d’une relation amoureuse
« Tu ne me dis jamais rien ! » ou « Pourquoi tu ne m’en as pas parlé plus tôt ? » Ces phrases, on les entend souvent quand on se dispute. Elles traduisent l’idée qu’une relation amoureuse devrait être un espace de totale transparence, comme si aimer signifiait tout partager. Mais la réalité est plus complexe. Si les non-dits existent dans tous les couples, leur poids peut devenir encore plus lourd quand on vit avec des troubles psychiques. Parce que parler de ses fragilités, c’est risquer de s’exposer, d’être vu autrement ou d’être mal compris. Mais le silence, à la longue, peut nous peser, nous isoler, ou nourrir une certaine honte. Chez Plein Espoir, nous pensons que ces choix – parler ou se taire – méritent réflexion : qu’est-ce qui nous freine ou nous pousse à parler à la personne qu’on aime ? Que disent ces silences sur nous et nos relations ? Et cacher, est-ce vraiment mentir ? Quoi qu’on décide, l’important est de respecter son rythme et de ne pas culpabiliser.
Cacher ou mentir : est-ce que c’est pareil ? La communication est souvent présentée comme le socle des relations sentimentales solides. Pourtant, il est fréquent que l’un des partenaires, parfois même les deux, choisissent de garder certaines choses pour eux. Ces silences, qu’ils soient volontaires ou simplement protecteurs, peuvent prendre des formes variées : du petit oubli délibéré au secret plus lourd. Mais alors, pourquoi choisir de cacher certaines informations au lieu d’être complètement transparent avec la personne qu’on aime ? Bien souvent, dans ces situations, c’est la peur qui prend le dessus. Quand il y a de l’amour et donc un enjeu, on peut redouter d’être jugé, mal compris ou même rejeté quand on montre ou qu’on parle de nos fragilités. Cette crainte est encore plus forte chez les personnes qui vivent avec des troubles psychiques.
Ne pas parler de ses troubles, une stratégie contre le rejet de l’autre
Même si la santé mentale est un sujet de plus en plus abordé dans la vie de tous les jours, les personnes qui vivent avec des troubles psychiques restent largement stigmatisées et mal vues dans la société. Un rapport de 2020 de l’OMS explique que les personnes concernées sont généralement considérées comme “imprévisibles”, “incapables” ou "à problèmes". Et comme on peut l’imaginer, cela impacte aussi la vie amoureuse, puisque ça nourrit la peur et pousse chacun à cacher ses difficultés. Dans le podcast Plein Espoir - Vivre bien avec un trouble psy, le docteur Mickael Worms-Ehrminger revient sur son expérience des troubles des conduites alimentaires, présents dans sa vie depuis l’enfance. Il explique que, face à l’homme qu’il aime, il a longtemps préféré trouver des excuses plutôt que de parler de son trouble : plus simple de dire qu’on a bu trop de café ou qu’on stresse en ce moment pour expliquer une agitation ou un manque d’appétit. Dans son cas, ce n’était pas une volonté de cacher la vérité, mais plutôt une difficulté à trouver les mots, le courage de se confier, ou simplement d’être capable de raconter son histoire.
Par curiosité, on est allé voir sur Reddit, un réseau social où les utilisateurs partagent anonymement leurs expériences. J’ai découvert une discussion lancée par une jeune femme vivant avec un trouble bipolaire qui posait une question simple : « Est-ce que vous pourriez être en couple avec une femme ayant un trouble psychique ? » Certaines personnes ont répondu que c’était possible, à condition que la personne soit suivie et qu’elle veuille « guérir ». Mais beaucoup ont dit que ce serait trop difficile, qu’ils ne s’en sentaient pas capables, et que ceux qui répondaient « oui » ne se rendaient pas compte de ce que ça représentait au quotidien. Quand on entend ce genre de remarques dans la vie de tous les jours, cela montre bien que la méconnaissance et la peur des troubles psychiques sont encore très importants.
Il serait particulièrement réducteur de penser que les non-dits concernent uniquement les personnes vivant avec des troubles psychiques. Selon la psychologue Claudine Biland, qui a longuement étudié la question, on peut compter environ un mensonge tous les dix échanges dans une relation établie, et un toutes les trois interactions dans une romance naissante. Après, il faut tout de même distinguer les types de mensonges. Certains sont sans réelle conséquence : c’est ce qui se passe lorsqu’on exagère un succès, qu’on cache une mauvaise habitude ou qu’on passe sous silence une anecdote embarrassante. Bref, quand on cherche à se présenter sous son meilleur jour. Mais d’autres, comme ne pas parler d’une infidélité dans un couple exclusif, de ses dettes financières ou de problèmes professionnels, peuvent avoir un impact bien plus lourd sur une relation. Et pourtant, si on peut penser que cacher un trouble psychique à son partenaire pèse nécessairement sur un couple, ce n’est pas toujours le cas. Chacun doit rester libre de choisir ce qu’il souhaite ou se sent prêt à partager avec l’autre. On n’est pas obligé de tout dire, et surtout, il n'y a aucune raison de culpabiliser. Parler de soi demande du courage et si on n’en est pas capable, ce n’est pas une faute. L’essentiel est de ne pas se tromper soi-même, de ne pas s’effacer sous prétexte de protéger l’autre.
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Ne pas parler de son trouble pour faire comme s’il n’existait pas
Morgane (1) a 34 ans aujourd’hui, et elle vit avec un trouble anxieux généralisé. Ses premières crises d’angoisse ont commencé au début de sa vingtaine, après un avortement. Quand elles sont devenues quotidiennes, ses parents ont cru qu’elle devenait… folle. Ils ont même envisagé de l'interner, alors qu’elle avait simplement besoin de temps et de soutien. Marquée par ce manque de compréhension, Morgane a choisi de cacher son trouble. Elle n’en parle qu’à quelques amis proches et évite le sujet avec ses partenaires. Pour elle, garder le silence, c’est une façon de réduire son trouble, comme si l’ignorer pouvait le rendre moins important, voire le faire disparaître. Pendant des années, elle s’est naturellement tournée vers des relations sans attachement profond, où elle n’a jamais ressenti le besoin de se dévoiler. « C’était plus simple comme ça », nous confie-t-elle.
Mais cacher son trouble n’est pas toujours évident. Quand une crise survient, elle doit bien justifier son absence ou expliquer pourquoi elle préfère rester seule. Avec le temps, trouver des excuses est devenu un exercice épuisant, d’autant que ce n’est pas toujours possible. Pourtant, pour Morgane, ce choix reste intimement lié à une peur : celle de ne pas être aimée si elle montre ses fragilités. Ne pas en parler, c’est à la fois une manière de se protéger et une tentative, d’être acceptée pour ce qu’elle voudrait être, et non pour ce qu’elle est parfois contrainte de vivre.
Récemment, Morgane a trouvé la force de s’ouvrir à son copain qu’elle voit depuis plus de six mois. Elle a d'abord attendu qu'il parle de ses problèmes familiaux pour oser parler des siens. Ce jour-là, elle a tout raconté : la première crise d’angoisse et les progrès qu’elle a faits au fil des ans. « Maintenant, ça fait dix ans. J’ai appris à vivre avec, et mes crises sont bien moins fréquentes qu’au début. Mais il y a encore des situations que je ne maîtrise pas, comme prendre l’avion », explique-t-elle. Ce qu’elle retient surtout, c’est le soulagement. « Je lui ai dit comment réagir en cas de crise, qu’il ne fallait pas paniquer. Je me sens plus apaisée, comme si j’avais un allié prêt à me soutenir en cas de besoin. » Pour Morgane, ce pas en avant a été une libération et l’a aidé à avancer dans son rétablissement. Elle vivra toute sa vie avec ce trouble, mais ça ne l’empêche plus d’être épanouie.
Éviter que le partenaire utilise le trouble comme prétexte à tout
Adrien, lui, a 42 ans. Il vit avec un trouble dépressif depuis presque vingt ans, mais il n’en parle pas. À personne. En couple depuis deux ans, il n’a pas évoqué ce sujet avec son compagnon. « Il sait que je vois un psy, mais aujourd’hui, c’est presque banal, surtout quand on a un travail prenant. Tout le monde parle de burn-out ou de charge mentale. Quand je vais mal, je dis simplement que je suis un peu stressé ou fatigué. Je ne donne pas plus de détails », raconte-t-il. Depuis qu’ils sont ensemble, Adrien n’a pas connu d’épisode dépressif majeur. Les moments difficiles restent dans l’ensemble assez gérables, et il parvient à les masquer. Ce silence, c’est un choix réfléchi : « Chacun a ses petits secrets, son jardin privé. Je ne vois pas l’intérêt de tout partager. Peut-être que si on s’installait ensemble, je me sentirais prêt, puis il me verrait prendre des médicaments, mais pour le moment, ça n’a pas sa place. »
Ce besoin de cacher cette part de lui trouve son origine dans une mauvaise expérience. Adrien a parlé une fois de son trouble, c’était avec la personne avec qui il est resté dix ans. Il lui raconté ses journées passées au lit, ses idées noires dans les pires moments. Mais très vite, ça s’est retourné contre lui. « À chaque dispute, il me disait que c’était moi le problème, que j’étais malade, pas normal, que mes problèmes étaient impossibles à gérer. J’ai regretté d’avoir fait confiance. »
Après cette relation, Adrien a décidé de se taire. Parler de sa dépression, c’était offrir à l’autre une arme qu’il pourrait utiliser contre lui. « Avec mon copain actuel, c’est différent. Je pense qu’il serait compréhensif. Mais une fois que c’est dit, on ne peut plus revenir en arrière. Il y a toujours un risque. Alors, j’attends. » Pour l’instant, Adrien trouve un équilibre dans cette discrétion. « Ce n’est pas toujours facile, mais j’ai appris à gérer mes moments difficiles tout seul. Et puis, je me dis que tout le monde a ses "casseroles". Moi, c’est celle-là, je fais avec. »
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Se sentir libre de parler ou de garder des choses pour soi
Les non-dits existent partout, que l’on vive ou non avec des troubles psychiques. Parfois, garder le silence est un réflexe de protection, mais au bout d’un moment, cela peut aussi devenir difficile à porter. Dans une relation naissante, ce silence peut peser, surtout quand on se pose cette question : « Est-ce que je suis en train de mentir à l’autre ? Est-ce qu’il me le reprochera plus tard ? » Ce doute peut nous empêcher de nous engager, de bâtir quelque chose de durable. Mais se mettre à nu, c’est aussi prendre un risque. Celui d’être rejeté ou, comme cela a été le cas pour Adrien, que l’autre utilise notre différence contre nous.
Chez Plein Espoir, on croit que le choix de parler ou de garder certaines choses pour soi appartient à chacun. Ce qui compte, c’est de savoir pourquoi on fait ce choix. Parfois, se demander ce qui freine l’envie de parler peut ouvrir la porte à des réactions inattendues, à cette sensation précieuse d’être aimé dans toute sa vérité. Mais si le silence nous protège et qu’il reste léger à porter, il est aussi légitime de vouloir se préserver. L’essentiel, c’est de trouver son équilibre, d’être en accord avec soi-même, et d’accepter que chaque parcours est singulier. Parce qu’au fond, que l’on choisisse de parler ou de se taire, l’important est de ne pas fermer la porte à l’idée d’être, un jour, agréablement surpris par l’Autre.
(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l'anonymat des personnes interviewées.
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