Comment parler à son enfant de son trouble psychique ? Quels mots choisir pour lui expliquer sa situation ? Comment répondre à ses questions et le rassurer sur l’avenir ? Pour aider les parents et les proches confrontés à ces défis, Plein Espoir a rencontré Dominique Willard, psychologue clinicienne au Centre Hospitalier Sainte-Anne et responsable du programme Profamille en Île-de-France. Ce programme de psychoéducation, destiné aux familles de personnes concernées par la schizophrénie ou des troubles apparentés, aide à mieux communiquer, à apaiser le quotidien et à favoriser l’empowerment*, le pouvoir d’agir le rétablissement de chacun. La spécialiste nous donne de précieux conseils pour instaurer un dialogue ouvert et bienveillant avec son enfant.
Plein Espoir : Vous êtes responsable d’un programme de psychoéducation, mais qu’est-ce que c’est concrètement ? Et comment cette approche thérapeutique s’est-elle développée ?
Dominique Willard : Il existe deux formes de psychoéducation : celle destinée aux patients et celle dédiée aux proches. Pour les patients, cette approche les aide à mieux comprendre leur trouble psychique, à développer des compétences pour mieux le gérer et l’apprivoiser au quotidien. La psychoéducation familiale, elle, s’adresse aux proches. Elle leur permet de mieux accompagner leur proche tout en préservant un équilibre dans la relation. C’est donc bien plus qu’une simple information sur la pathologie et sa signification. Au-delà des connaissances, on développe aussi un savoir-faire et surtout un savoir-être. On apprend à mieux se comprendre, à ajuster sa posture, car pour aider l’autre, il faut d’abord aller bien et prendre soin de soi.
La psychoéducation familiale s’est développée tardivement en France, alors que le professeur Gérard E. Hogarty en démontrait déjà l’efficacité aux États-Unis dans les années 1980. Longtemps mises à l’écart par la psychanalyse, les familles sont désormais reconnues comme un soutien essentiel dans l’accompagnement d’une personne vivant avec un trouble psychique. Présentes au quotidien, elles jouent un rôle clé aux côtés des professionnels.
Plein Espoir : À qui s’adressent les programmes de psychoéducation familiale ?
D.W. : La psychoéducation familiale s’adresse à tous les proches : parents, frères et sœurs, conjoints, grands-parents, mais aussi amis, parfois plus présents qu’un membre de la famille. L’objectif n’est pas de changer l’autre, ce n’est pas possible, on ne peut que se changer soi-même et ajuster sa posture et sa communication pour mieux l’accompagner.
En France, Profamille est l’un des premiers programmes de psychoéducation familiale évalués. Il a prouvé son efficacité, apportant des bénéfices autant aux familles qu’aux patients, même en leur absence durant les séances.
Plein Espoir : Dans ce programme, vous commencez toujours par expliquer le trouble en détail à la famille ?
D.W. : C’est important, oui. Quand on a un enfant atteint de troubles psychiques comme la schizophrénie, le quotidien est souvent difficile. La première étape consiste donc à comprendre le trouble, et il y a beaucoup d’idées reçues à déconstruire. Il ne faut pas oublier que la perception de la psychiatrie est encore largement influencée par des films comme Vol au-dessus d’un nid de coucou ou des clichés de double personnalité, loin de la réalité. Les articles scientifiques peinent encore à changer ces idées reçues. Pendant longtemps, on a cru que la schizophrénie était causée par des parents trop envahissants ou trop distants, ce qui a fait peser une grande culpabilité sur les familles. Or, on sait aujourd’hui que ces troubles viennent d’un dysfonctionnement cérébral, et non d’un problème d’éducation. Et tout ça il faut pouvoir le dire.
Plein Espoir : Vous expliquez que la psychoéducation vise le bien-être des familles. Chaque trouble est unique, mais existe-t-il des émotions communes que ressentent les parents dont l’enfant souffre de troubles psychiques ?
D.W : L’anxiété et la culpabilité sont les émotions les plus travaillées en psychoéducation. L’anxiété peut freiner le parent : s’il a constamment peur pour son enfant, il risque de le surprotéger et de limiter son autonomie. La culpabilité, elle aussi, pèse lourd, avec des effets physiques et émotionnels. Les personnes qui vivent avec un trouble psychique perçoivent fortement les émotions des autres, même sans toujours les comprendre. Si un parent est envahi par l’angoisse ou la culpabilité, il risque de transmettre un climat pesant à son enfant, sans le vouloir. D’ailleurs, des études montrent que, dans le cas de la schizophrénie, les parents peuvent souffrir d’un niveau de dépression plus élevé que la moyenne. Ce n’est pas juste une baisse de moral : la dépression peut affecter la mémoire, la concentration et même la santé cardiovasculaire. Elle peut aussi entraîner des absences au travail, compliquant encore plus le soutien à son enfant.
Plein Espoir : Dans le programme Profamille, vous parlez de renforcement positif. En quoi cela consiste-t-il ?
D.W. : Lorsqu’une personne souffre de schizophrénie ou d’un autre trouble psychique, elle peut perdre certaines capacités qu’elle avait auparavant. Naturellement, les parents ont tendance à pointer ce qui ne va pas, mais cela peut fragiliser encore plus leur enfant et entamer sa confiance en lui. Le programme Profamille enseigne la technique des 4P, qui encourage à être Prompt à Positiver de Petits Progrès Précis. L’idée est de changer de regard : au lieu de relever ce qui ne fonctionne pas, on met l’accent sur ce que l’enfant parvient à accomplir, même si cela semble minime. Ce changement renforce son estime de soi et lui redonne l’envie d’avancer, sans pour autant modifier la situation de fond. Cet état d’esprit profite à tous : on peut l’appliquer avec son enfant malade, mais aussi avec ses autres enfants, son conjoint, ses collègues, ou même un voisin.
Plein Espoir : Vous insistez aussi sur l’importance de certaines techniques de communication. Pouvez-vous expliquer en quoi elles consistent ?
D.W. : Dès les premières séances, on apprend que certaines zones du cerveau, comme les amygdales, peuvent dysfonctionner et perturber la gestion des émotions. Une personne atteinte de schizophrénie peut ainsi éprouver des difficultés à exprimer ce qu’elle ressent, mais aussi à reconnaître les émotions des autres. Dans la communication, il est donc essentiel de prendre en compte cette difficulté et d’accompagner la compréhension en mettant des mots sur ses propres émotions. Dire « Là, je suis en colère » est bien plus clair pour quelqu’un qui aurait autrement du mal à l’identifier, plutôt que de se laisser emporter dans un éclat de voix. Ce type d’adaptation change tout : en reconnaissant l’autre comme une personne à part entière, et non comme un malade, on transforme l’atmosphère à la maison et on facilite les échanges au quotidien.
Plein Espoir : En tant que parent, comment aborder la question du trouble psychique avec mon enfant ?
D.W. : Lors d’une rencontre, des parents me disaient hésiter à interroger leur enfant sur ses propos délirants, de peur de renforcer ces idées. Mais en évitant le dialogue, ils restent dans l’ignorance. Aborder le sujet dépend de ce que l’enfant est prêt à reconnaître, et souvent, il est plus simple de parler des symptômes et de poser des questions ouvertes pour comprendre son ressenti. Par exemple, face à un proche qui délire, nous entraînons les parents à utiliser des techniques de communication qui permettent de mieux comprendre ce qui se passe dans l’esprit de l’autre. Cela aide le proche à ne plus avoir peur d’être jugé, à sentir qu’il est soutenu et compris. Ce n’est pas le nom du trouble en lui-même qui compte, mais les symptômes observés – ceux qui l’empêchent de suivre une routine, d’aller en cours ou d’interagir avec les autres.
Plein Espoir : Vous parlez aussi de retrouver de l’autonomie. Comment y parvenir progressivement ?
D.W. : Pendant les séances, on aborde la question des limites, essentielles pour vivre ensemble, que ce soit dans la société, au travail ou en famille. Souvent, il est difficile de fixer ces limites, car on accepte beaucoup au nom du trouble. Par exemple, une personne atteinte de schizophrénie peut entendre des voix, et écouter de la musique forte peut l’aider à les chasser. Certaines familles l’acceptent parce que cela semble efficace, mais elles ont du mal à poser des limites. Imaginez qu’une personne fasse cela en pleine nuit : cela empêche tout le monde de dormir, y compris les voisins, qui risquent de se plaindre. Une solution simple serait d’utiliser un casque ou de baisser le volume. Ce n’est pas parce que l’on est malade que les règles de la société ne s’appliquent plus. L’autonomie, c’est apprendre à tenir compte des autres le plus tôt possible. Dans le programme, nous utilisons de nombreux jeux de rôle pour aider les familles dans un cadre sécurisé. Ces exercices et partages d’expérience sont l’occasion pour les parents d’apprendre les uns des autres et de progresser par la répétition.
Plein Espoir : Une grande partie de la psychoéducation repose sur le bien-être des parents. Pourquoi ?
D.W. : Je donne souvent l’exemple de l’avion : l’hôtesse explique que, lors des turbulences, il faut d’abord mettre son propre masque à oxygène avant d’aider un enfant ou une personne en difficulté à côté. Naturellement, on voudrait aider son enfant en premier, mais si on perd connaissance en essayant, on ne pourra plus aider personne. En prenant soin de soi, on est en mesure d’aider ses enfants.
Plein Espoir : Comment la psychoéducation s’articule-t-elle dans le sens du rétablissement ?
D.W. : Le rétablissement, c’est le processus qui permet d’avancer pour avoir une vie meilleure et plus satisfaisante. En tant que parents, nous avons souvent des projets pour l’avenir de nos enfants, mais avec un enfant atteint de troubles psychiques, ces projets peuvent sembler irréalistes. Pourtant, ils restent essentiels, car ils donnent une direction. Malgré les difficultés, il est important d’apprendre à formuler des ambitions réalistes et de progresser par étapes. Par exemple, si mon enfant a abandonné ses études et est isolé depuis trois ans, on ne va pas s’attendre à ce qu’il entre à Polytechnique l’année suivante. Mais en fixant des étapes intermédiaires, comme passer le bac d’abord, on crée des repères. C’est comme vouloir gravir le Mont-Blanc sans préparation : on doit avancer par petits pas. Le rétablissement se construit ainsi, avec des attentes réalistes sur ce qui est possible de réaliser dans six mois ou dans un an.
Plein Espoir : Vous parliez plus tôt d’évaluation d’efficacité des programmes de psychoéducation. Quels sont les résultats concrets de ces programmes ?
D.W. : Actuellement, on a des évaluations sur plus de 6 000 participants pour Profamille. On a montré que l’efficacité du programme permet d’améliorer de 30 à 50% la dépression des familles, ce qui équivaut à l’effet d’un traitement médicamenteux. On a aussi montré que le recours à Profamille diminuait le nombre de jours d’arrêt de travail. Lorsque l’un des parents participe au programme, cela réduit de moitié le nombre de jours d’hospitalisation pour le patient et divise par deux le taux de tentatives de suicide. À ce jour, c’est le seul programme de psychoéducation familiale à avoir montré de tels résultats.
Plein Espoir : Ces programmes de psychoéducation sont aussi l’occasion pour les parents de rencontrer d’autres parents concernés et de former des réseaux d’entraide ?
D.W. : Nous travaillons en groupes de 12 participants sur plusieurs années, ce qui crée une forte cohésion de groupe et favorise l’entraide. C’est ainsi qu’est née l’association PromesseS (découvrir notre podcast avec Claire Calmejane), conçue pour prolonger l’initiative Profamille, car une maladie chronique nécessite un soutien au long court. PromesseS propose des ateliers de révision pour ceux ayant suivi un programme de psychoéducation et des programmes pour les jeunes frères et sœurs, contribuant ainsi à déstigmatiser les troubles psychiques.
Plein Espoir : La psychoéducation c’est pour tout le monde et tout le temps en fait ?
D.W. : On recommande d’introduire l’approche de la psychoéducation familiale le plus tôt et le plus largement possible. En France, seulement 7 à 8 % des familles concernées ont suivi un programme. Cela montre qu’il y a une grande marge de progression. Il a été démontré qu’en moyenne, il y a un délai de dix ans entre l’apparition des premiers symptômes et l’accès à des informations sur ces programmes.
Plein Espoir : Connaissez-vous des programmes de psychoéducation qui pourraient aider des familles concernées par d’autres troubles psychiques ?
D.W. : Le programme I Care You Care se concentre sur les premiers épisodes psychotiques, en mettant l’accent sur l’importance d’une intervention précoce, facilitée par un meilleur repérage des troubles psychiques, en lien avec le réseau Transition. Le programme ETAAP (éducation thérapeutique pour les personnes avec trouble du spectre de l’autisme et leur famille), récemment lancé, se penche sur l’autisme. Beaucoup de ces initiatives ont vu le jour grâce à l’influence de Profamille.
Connexions Familiales, qui aborde le trouble borderline, est actuellement en phase d’évaluation, tandis que le programme Léo, encore en développement, couvre divers diagnostics. Nous avons encore besoin de recul, mais les programmes de psychoéducation familiale évaluent et prouvent de plus en plus leur efficacité.
* autonomisation
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