Psychoéducation familiale : comprendre et accompagner son enfant face aux troubles psychiques 


Comment parler à son enfant de son trouble psychique ? Quels mots choisir pour lui expliquer sa situation ? Comment répondre à ses questions et le rassurer sur l’avenir ? Pour aider les parents et les proches confrontés à ces défis, Plein Espoir a rencontré Dominique Willard, psychologue clinicienne au Centre Hospitalier Sainte-Anne et responsable du programme Profamille en Île-de-France. Ce programme de psychoéducation, destiné aux familles de personnes concernées par la schizophrénie ou des troubles apparentés, aide à mieux communiquer, à apaiser le quotidien et à favoriser l’empowerment*, le pouvoir d’agir le rétablissement de chacun. La spécialiste nous donne de précieux conseils pour instaurer un dialogue ouvert et bienveillant avec son enfant.  


Plein Espoir : Vous êtes responsable d’un programme de psychoéducation, mais qu’est-ce que c’est concrètement ? Et comment cette approche thérapeutique s’est-elle développée ?

Dominique Willard : Il existe deux formes de psychoéducation : celle destinée aux patients et celle dédiée aux proches. Pour les patients, cette approche les aide à mieux comprendre leur trouble psychique, à développer des compétences pour mieux le gérer et l’apprivoiser au quotidien. La psychoéducation familiale, elle, s’adresse aux proches. Elle leur permet de mieux accompagner leur proche tout en préservant un équilibre dans la relation. C’est donc bien plus qu’une simple information sur la pathologie et sa signification. Au-delà des connaissances, on développe aussi un savoir-faire et surtout un savoir-être. On apprend à mieux se comprendre, à ajuster sa posture, car pour aider l’autre, il faut d’abord aller bien et prendre soin de soi.


La psychoéducation familiale s’est développée tardivement en France, alors que le professeur Gérard E. Hogarty en démontrait déjà l’efficacité aux États-Unis dans les années 1980. Longtemps mises à l’écart par la psychanalyse, les familles sont désormais reconnues comme un soutien essentiel dans l’accompagnement d’une personne vivant avec un trouble psychique. Présentes au quotidien, elles jouent un rôle clé aux côtés des professionnels.


Plein Espoir : À qui s’adressent les programmes de psychoéducation familiale ?


D.W. : La psychoéducation familiale s’adresse à tous les proches : parents, frères et sœurs, conjoints, grands-parents, mais aussi amis, parfois plus présents qu’un membre de la famille. L’objectif n’est pas de changer l’autre, ce n’est pas possible, on ne peut que se changer soi-même et ajuster sa posture et sa communication pour mieux l’accompagner.


En France, Profamille est l’un des premiers programmes de psychoéducation familiale évalués. Il a prouvé son efficacité, apportant des bénéfices autant aux familles qu’aux patients, même en leur absence durant les séances.



Plein Espoir : Dans ce programme, vous commencez toujours par expliquer le trouble en détail à la famille ?


D.W. : C’est important, oui. Quand on a un enfant atteint de troubles psychiques comme la schizophrénie, le quotidien est souvent difficile. La première étape consiste donc à comprendre le trouble, et il y a beaucoup d’idées reçues à déconstruire. Il ne faut pas oublier que la perception de la psychiatrie est encore largement influencée par des films comme Vol au-dessus d’un nid de coucou ou des clichés de double personnalité, loin de la réalité. Les articles scientifiques peinent encore à changer ces idées reçues. Pendant longtemps, on a cru que la schizophrénie était causée par des parents trop envahissants ou trop distants, ce qui a fait peser une grande culpabilité sur les familles. Or, on sait aujourd’hui que ces troubles viennent d’un dysfonctionnement cérébral, et non d’un problème d’éducation. Et tout ça il faut pouvoir le dire. 



Plein Espoir : Vous expliquez que la psychoéducation vise le bien-être des familles. Chaque trouble est unique, mais existe-t-il des émotions communes que ressentent les parents dont l’enfant souffre de troubles psychiques ?


D.W : L’anxiété et la culpabilité sont les émotions les plus travaillées en psychoéducation. L’anxiété peut freiner le parent : s’il a constamment peur pour son enfant, il risque de le surprotéger et de limiter son autonomie. La culpabilité, elle aussi, pèse lourd, avec des effets physiques et émotionnels. Les personnes qui vivent avec un trouble psychique perçoivent fortement les émotions des autres, même sans toujours les comprendre. Si un parent est envahi par l’angoisse ou la culpabilité, il risque de transmettre un climat pesant à son enfant, sans le vouloir. D’ailleurs, des études montrent que, dans le cas de la schizophrénie, les parents peuvent souffrir d’un niveau de dépression plus élevé que la moyenne. Ce n’est pas juste une baisse de moral : la dépression peut affecter la mémoire, la concentration et même la santé cardiovasculaire. Elle peut aussi entraîner des absences au travail, compliquant encore plus le soutien à son enfant.



Plein Espoir : Dans le programme Profamille, vous parlez de renforcement positif. En quoi cela consiste-t-il ?


D.W. : Lorsqu’une personne souffre de schizophrénie ou d’un autre trouble psychique, elle peut perdre certaines capacités qu’elle avait auparavant. Naturellement, les parents ont tendance à pointer ce qui ne va pas, mais cela peut fragiliser encore plus leur enfant et entamer sa confiance en lui. Le programme Profamille enseigne la technique des 4P, qui encourage à être Prompt à Positiver de Petits Progrès Précis. L’idée est de changer de regard : au lieu de relever ce qui ne fonctionne pas, on met l’accent sur ce que l’enfant parvient à accomplir, même si cela semble minime. Ce changement renforce son estime de soi et lui redonne l’envie d’avancer, sans pour autant modifier la situation de fond. Cet état d’esprit profite à tous : on peut l’appliquer avec son enfant malade, mais aussi avec ses autres enfants, son conjoint, ses collègues, ou même un voisin.



Plein Espoir : Vous insistez aussi sur l’importance de certaines techniques de communication. Pouvez-vous expliquer en quoi elles consistent ?


D.W. : Dès les premières séances, on apprend que certaines zones du cerveau, comme les amygdales, peuvent dysfonctionner et perturber la gestion des émotions. Une personne atteinte de schizophrénie peut ainsi éprouver des difficultés à exprimer ce qu’elle ressent, mais aussi à reconnaître les émotions des autres. Dans la communication, il est donc essentiel de prendre en compte cette difficulté et d’accompagner la compréhension en mettant des mots sur ses propres émotions. Dire « Là, je suis en colère » est bien plus clair pour quelqu’un qui aurait autrement du mal à l’identifier, plutôt que de se laisser emporter dans un éclat de voix. Ce type d’adaptation change tout : en reconnaissant l’autre comme une personne à part entière, et non comme un malade, on transforme l’atmosphère à la maison et on facilite les échanges au quotidien.



Plein Espoir : En tant que parent, comment aborder la question du trouble psychique avec mon enfant ?

D.W. : Lors d’une rencontre, des parents me disaient hésiter à interroger leur enfant sur ses propos délirants, de peur de renforcer ces idées. Mais en évitant le dialogue, ils restent dans l’ignorance. Aborder le sujet dépend de ce que l’enfant est prêt à reconnaître, et souvent, il est plus simple de parler des symptômes et de poser des questions ouvertes pour comprendre son ressenti. Par exemple, face à un proche qui délire, nous entraînons les parents à utiliser des techniques de communication qui permettent de mieux comprendre ce qui se passe dans l’esprit de l’autre. Cela aide le proche à ne plus avoir peur d’être jugé, à sentir qu’il est soutenu et compris. Ce n’est pas le nom du trouble en lui-même qui compte, mais les symptômes observés – ceux qui l’empêchent de suivre une routine, d’aller en cours ou d’interagir avec les autres.



Plein Espoir : Vous parlez aussi de retrouver de l’autonomie. Comment y parvenir progressivement ?


D.W. : Pendant les séances, on aborde la question des limites, essentielles pour vivre ensemble, que ce soit dans la société, au travail ou en famille. Souvent, il est difficile de fixer ces limites, car on accepte beaucoup au nom du trouble. Par exemple, une personne atteinte de schizophrénie peut entendre des voix, et écouter de la musique forte peut l’aider à les chasser. Certaines familles l’acceptent parce que cela semble efficace, mais elles ont du mal à poser des limites. Imaginez qu’une personne fasse cela en pleine nuit : cela empêche tout le monde de dormir, y compris les voisins, qui risquent de se plaindre. Une solution simple serait d’utiliser un casque ou de baisser le volume. Ce n’est pas parce que l’on est malade que les règles de la société ne s’appliquent plus. L’autonomie, c’est apprendre à tenir compte des autres le plus tôt possible. Dans le programme, nous utilisons de nombreux jeux de rôle pour aider les familles dans un cadre sécurisé. Ces exercices et partages d’expérience sont l’occasion pour les parents d’apprendre les uns des autres et de progresser par la répétition.



Plein Espoir : Une grande partie de la psychoéducation repose sur le bien-être des parents. Pourquoi ?


D.W. : Je donne souvent l’exemple de l’avion : l’hôtesse explique que, lors des turbulences, il faut d’abord mettre son propre masque à oxygène avant d’aider un enfant ou une personne en difficulté à côté. Naturellement, on voudrait aider son enfant en premier, mais si on perd connaissance en essayant, on ne pourra plus aider personne. En prenant soin de soi, on est en mesure d’aider ses enfants.



Plein Espoir : Comment la psychoéducation s’articule-t-elle dans le sens du rétablissement ? 


D.W. : Le rétablissement, c’est le processus qui permet d’avancer pour avoir une vie meilleure et plus satisfaisante. En tant que parents, nous avons souvent des projets pour l’avenir de nos enfants, mais avec un enfant atteint de troubles psychiques, ces projets peuvent sembler irréalistes. Pourtant, ils restent essentiels, car ils donnent une direction. Malgré les difficultés, il est important d’apprendre à formuler des ambitions réalistes et de progresser par étapes. Par exemple, si mon enfant a abandonné ses études et est isolé depuis trois ans, on ne va pas s’attendre à ce qu’il entre à Polytechnique l’année suivante. Mais en fixant des étapes intermédiaires, comme passer le bac d’abord, on crée des repères. C’est comme vouloir gravir le Mont-Blanc sans préparation : on doit avancer par petits pas. Le rétablissement se construit ainsi, avec des attentes réalistes sur ce qui est possible de réaliser dans six mois ou dans un an.



Plein Espoir : Vous parliez plus tôt d’évaluation d’efficacité des programmes de psychoéducation. Quels sont les résultats concrets de ces programmes ?


D.W. : Actuellement, on a des évaluations sur plus de 6 000 participants pour Profamille. On a montré que l’efficacité du programme permet d’améliorer de 30 à 50% la dépression des familles, ce qui équivaut à l’effet d’un traitement médicamenteux. On a aussi montré que le recours à Profamille diminuait le nombre de jours d’arrêt de travail. Lorsque l’un des parents participe au programme, cela réduit de moitié le nombre de jours d’hospitalisation pour le patient et divise par deux le taux de tentatives de suicide. À ce jour, c’est le seul programme de psychoéducation familiale à avoir montré de tels résultats.



Plein Espoir : Ces programmes de psychoéducation sont aussi l’occasion pour les parents  de rencontrer d’autres parents concernés et de former des réseaux d’entraide ? 


D.W. : Nous travaillons en groupes de 12 participants sur plusieurs années, ce qui crée une forte cohésion de groupe et favorise l’entraide. C’est ainsi qu’est née l’association PromesseS (découvrir notre podcast avec Claire Calmejane), conçue pour prolonger l’initiative Profamille, car une maladie chronique nécessite un soutien au long court. PromesseS propose des ateliers de révision pour ceux ayant suivi un programme de psychoéducation et des programmes pour les jeunes frères et sœurs, contribuant ainsi à déstigmatiser les troubles psychiques. 



Plein Espoir : La psychoéducation c’est pour tout le monde et tout le temps en fait ? 


D.W. : On recommande d’introduire l’approche de la psychoéducation familiale le plus tôt et le plus largement possible. En France, seulement 7 à 8 % des familles concernées ont suivi un programme. Cela montre qu’il y a une grande marge de progression. Il a été démontré qu’en moyenne, il y a un délai de dix ans entre l’apparition des premiers symptômes et l’accès à des informations sur ces programmes.



Plein Espoir : Connaissez-vous des programmes de psychoéducation qui pourraient aider des familles concernées par d’autres troubles psychiques ? 


D.W. : Le programme I Care You Care se concentre sur les premiers épisodes psychotiques, en mettant l’accent sur l’importance d’une intervention précoce, facilitée par un meilleur repérage des troubles psychiques, en lien avec le réseau Transition. Le programme ETAAP (éducation thérapeutique pour les personnes avec trouble du spectre de l’autisme et leur famille), récemment lancé, se penche sur l’autisme. Beaucoup de ces initiatives ont vu le jour grâce à l’influence de Profamille.


Connexions Familiales, qui aborde le trouble borderline, est actuellement en phase d’évaluation, tandis que le programme Léo, encore en développement, couvre divers diagnostics. Nous avons encore besoin de recul, mais les programmes de psychoéducation familiale évaluent et prouvent de plus en plus leur efficacité. 


* autonomisation

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Mon enfant a un trouble psychique… mais pas de diagnostic


Entre des délais interminables pour accéder à un spécialiste, le manque de moyens dans les écoles et la peur d’étiqueter trop tôt un trouble encore en évolution, de nombreuses familles restent dans l’impasse. Pour mieux comprendre le quotidien d’un parent en quête de réponses, Plein Espoir a rencontré Aurore, maman de trois enfants, dont Aaron, 5 ans. Un petit garçon vif et curieux, mais qui peine à trouver sa place en groupe. À l’école, il s’agite, crie, se lève sans prévenir, frappe parce qu’il ne parvient pas à canaliser ses émotions. Malgré des signes qui semblent évidents de troubles du comportement, le diagnostic se fait attendre. Trop jeune pour certains, pas assez en difficulté scolaire pour d’autres, le petit garçon bénéficie d’un accompagnement limité faute de ressources. L’histoire d’Aaron et de sa maman met en lumière une réalité qui touche de plus en plus de familles : l’errance diagnostique, qui retarde la prise en charge et laisse parents et enfants livrés à eux-mêmes.

Je suis maman de trois jeunes enfants, les deux derniers ont moins de deux ans d’écart. Avec mon mari, on n’a pas tout de suite remarqué qu’Aaron, notre deuxième, était un peu différent. Pendant ma troisième grossesse, c’est son papa qui s’en est beaucoup occupé. Et à cause des confinements, il a passé plus de temps à la maison que les autres. 


C’est à son entrée à l’école que les difficultés sont arrivées. Très vite, la maîtresse et les parents d’autres élèves sont venus me voir à la sortie. Aaron avait des comportements violents. Je me suis dit qu’il découvrait la vie en groupe, qu’il avait peut-être besoin de plus d’attention que les autres, que ça allait passer. Il mordait souvent, il se faisait du mal, il jetait par terre tout ce qu’il avait sous la main. Bien sûr, j’ai essayé de lui faire comprendre que ce n’était pas bien, mais c’était plus fort que lui. À ce moment-là, j’ai rencontré des parents d’enfants neuro-atypiques (TDAH, HPI, etc.). Les profils étaient différents, mais les comportements qu’ils décrivaient correspondaient à ceux de mon fils. Mon cœur de maman a fini par me dire : mon fils a un problème. 

« On a voulu me faire croire que j’étais responsable du trouble de mon enfant »


Je me suis renseignée, j’ai suivi des comptes Instagram dédiés, j’ai passé du temps sur des forums, j’ai posé beaucoup de questions. Et puis, je me suis dit qu’il fallait qu’il bénéficie d’une prise en charge auprès d’un CMPE (Centre Médico-Psychologique Enfant & Adolescent), mais les démarches sont longues, fastidieuses. Il m’a fallu plus d’un an pour décrocher un rendez-vous. Aaron a vu une psychologue, puis un pédopsychiatre. Le problème est toujours le même : quand on est seul avec lui, ce petit garçon est adorable, intelligent, vif. Difficile de dire qu’il a un trouble du comportement. À aucun moment, les médecins m’ont parlé de neuro-atypie ni de TDAH, mais me disaient qu’il y a sûrement eu des traumatismes dans la petite enfance et qu’il fallait creuser ces éléments. On m’a demandé de raconter ma grossesse – qui a été très difficile -, mon accouchement, comme si j’étais responsable, coupable. Et puis, on m’a dit que les choses allaient finir par s’arranger d’elles-mêmes. 


Pendant plusieurs mois, Aaron a vu la psychiatre une fois toutes les deux semaines, mais rien ne changeait. J’avais beau dire aux médecins que c’était peut-être autre chose, que j’avais lu des études… On ne m’écoutait pas et à l’école, c’était de plus en plus difficile. Quand j’ai appris que des parents avaient porté plainte contre lui, je me suis effondrée. Je sais qu’il ne contrôle pas tout ça. Ce n’est pas à lui de s’adapter. C’est à nous de comprendre, d’anticiper, d’agir différemment pour l’aider. Et en face, il y a aussi les maîtresses qui sont dépassées. 


Mon fils, c’est aussi un enfant qui ne tient pas en place, qui ne supporte pas de rester en groupe. Dès qu’il est entouré, il crie, se lève, tape le copain d’à côté parce qu’il s’ennuie. Il grimpe sur les meubles, il extériorise, il insulte. J’imagine combien ça doit être difficile en classe. Et en même temps, c’est dur d’entendre qu’on ne peut pas répondre aux besoins de mon enfant, qu’on ne peut pas s’adapter à lui. Comme la prise en charge avec la psy ne menait à rien, c’est mon mari qui a pris le relais. Un jour, il va la voir et lui dit clairement : “Ma femme ne veut plus venir, parce que vous ne l’écoutez pas.” Et là, tout s’est débloqué.


On nous a dit : “Très bien, on va vous accompagner.” La psy a lancé une demande auprès de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) pour que son handicap soit officiellement reconnu. On nous a parlé d’un accompagnement, d’une aide humaine, d’un soutien financier pour d’éventuels soins en psychomotricité. Un rendez-vous est fixé avec une psychomotricienne pour évaluer ses besoins. Ensuite, on nous oriente vers l’unité UETDTCA de l’hôpital de Versailles (Unité d’évaluation des troubles du développement affectif et cognitif de l’enfant et de l’adolescent), spécialisée dans l’accompagnement des enfants neuro-atypiques et les diagnostics. On a fait le rendez-vous, mais pour l’instant, ils refusent de poser un diagnostic. Trop petit. Il n’a que cinq ans. Il faut attendre l’acquisition de la lecture. Le médecin me dit que les choses peuvent encore bouger. Que le cerveau va mûrir, qu’avec plus d’autonomie, un cadre différent, il pourrait mieux s’adapter. Peut-être que la maternelle ne lui convient tout simplement pas. Mais en attendant, rien ne change. 

« Pour regagner sa confiance, j’ai appris à l’écouter sans le juger ni le gronder »

C’est compliqué à l’école, mais aussi à la maison. Son comportement pèse sur toute la famille. Il est bien que quand il est seul. Il se dispute tout le temps avec son frère et soeur. Et avec son père, c’est pire. Parfois, il le rejette complètement, avec des mots d’une grande violence : “Je préfère que tu sois mort. Quitte la maison. Je ne veux plus te voir.” Imagines ce que ça fait d’entendre ça quand tu es père !  C’est insoutenable. Il me l’a dit à moi aussi, il y a un an. Mais depuis, j’ai l’impression d’avoir beaucoup avancé avec lui. J’ai découvert la méthode Barkley et entamé une guidance parentale. C’est une approche venue des États-Unis, structurée en un programme avec des outils concrets pour gérer les situations compliquées du quotidien. La clé, c’est l’écoute. Pas la punition immédiate, pas la réaction à chaud. Quand il est en colère, quand il n’entend rien, ça ne sert à rien de s’opposer frontalement. Cette méthode est très proche de la pédagogie positive.


Par exemple, s’il frappe son frère ou sa sœur, je ne vais pas tout de suite me focaliser sur lui. D’abord, je vais rassurer l’enfant qui a reçu le coup. Une fois que tout est apaisé, j’aborde la situation avec lui. Je mets des mots sur ce qu’il s’est passé, je l’aide à comprendre comment il aurait pu réagir autrement. Je me suis rendu compte que le simple fait de l’écouter, sans jugement, de lui laisser l’espace pour venir vers moi, a changé beaucoup de choses. Maintenant, quand quelque chose ne va pas à l’école, je n’ai plus besoin de creuser. Il vient me le dire lui-même : “Aujourd’hui, ça ne s’est pas bien passé, j’ai fait ça.” Cette année, il a une nouvelle maîtresse, plus sensibilisée à ces problématiques. Elle valorise le positif, met en avant ses réussites. C’est un élément clé de cette approche : souligner les bons comportements pour qu’ils prennent naturellement le dessus sur les mauvais. Après, si la théorie est géniale, au quotidien, ça reste un défi. Je suis maman de trois enfants, avec un quotidien chargé, un travail, de la fatigue, je n’ai pas toujours la patience nécessaire.

« Poser un diagnostic pour qu’on change de regard sur mon enfant »


Pourquoi est-ce si important de poser un diagnostic sur le trouble de mon enfant ? Parce que ça changerait le regard des autres sur Aaron. Aujourd’hui, il est vu comme un enfant perturbateur, malpoli, mal élevé. Et nous, ses parents, nous sommes soi-disant “incapables” de l’éduquer correctement. Pourtant, on a trois enfants, on leur donne la même éducation, et avec les deux autres, tout se passe bien. Ce n’est pas un problème d’éducation. Aaron ne fonctionne juste pas de la même façon. En fait, j’ai l’impression qu’on lui colle une étiquette qui n’est pas la bonne. Bien sûr, un diagnostic, c’est aussi une étiquette. Mais une étiquette qui doit ouvrir des portes : avec un meilleur accompagnement scolaire, une reconnaissance auprès de l’équipe pédagogique, plus d’outils pour l’aider. 

Les pédopsychiatres disent qu’un diagnostic trop précoce pourrait lui faire prendre conscience de sa différence, qu’il pourrait s’auto-exclure, se désocialiser. Mais c’est déjà le cas. Mon fils est en troisième année de maternelle et il n’a jamais été invité à un seul anniversaire. À l’école, quand les enfants le voient, j’entends leurs réflexions : “Ah, c’est Aaron !” Quand il y a un problème dans la cour, un enfant qui fait une bêtise, tout le monde pointe du doigt Aaron même quand ce n’est pas lui. Parce que c’est plus simple comme ça. Alors oui, je comprends leur raisonnement, mais la réalité, c’est qu’on est déjà en train d’essayer de réparer les dégâts. Il n’a que cinq ans et on doit déjà déconstruire l’image qu’il traîne derrière lui. D’ailleurs, il en a conscience, parfois il me dit : “Maman, je n’arrive pas à me contrôler.” Ce matin encore, il a frappé sa sœur avec une violence qui m’a bouleversée, parce qu’il voulait dire quelque chose et qu’elle était en train de parler. Ce n’est pas un enfant qui cherche à faire du mal. Il subit ce qui lui arrive autant que nous.


Si on ne parvient pas à modifier son comportement maintenant, qu’est-ce que ce sera à l’adolescence ? C’est aussi ça l’enjeu : éviter que les choses s’aggravent. Mais je ne sais pas si le TDAH s’aggrave avec le temps. Tous les parents avec qui j’en ai parlé ont fini par obtenir un diagnostic, et beaucoup ont opté pour un traitement médicamenteux. Chez certains, ça a radicalement changé le comportement de leur enfant. Ce qui est sûr, c’est qu’on doit avancer sur plusieurs fronts. D’abord, à la maison, faire en sorte que la guidance parentale porte ses fruits. Puis, faut qu’on arrive à faire comprendre à sa grande sœur de neuf ans ce qui se passe avec son petit frère. Et puis enfin, il y a la sphère médicale. Dans un an, ça serait bien de poser officiellement le diagnostic. Si un traitement s’avère nécessaire, on le mettra en place. Pour le reste, on verra plus tard. 

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Pensées délirantes : ce que cette expérience m’a appris


À l’aube de ses 30 ans, Anna (1) perd sa grand-mère, celle qui l’a élevée. Sur le plateau d’un film où elle travaille alors comme assistante, un jour, tout dérape : des pensées qui s’emballent, une énergie qu’elle ne maîtrise plus, des mots qu’elle lance sans filtre. Pour Plein Espoir, elle raconte ce moment de bascule progressive où elle s’est peu à peu sentie invincible mais aussi étrangère à elle-même, loin de la jeune femme douce et discrète qu’elle avait toujours été. Cet épisode de délire a changé quelque chose en elle. Elle s’est découverte plus audacieuse, plus affirmée, plus intense. Et si cette expérience reste l’une des plus difficiles qu’elle ait traversées, elle fait aujourd’hui partie d’elle. Comme si cette expérience l’avait rendue plus forte, et surtout plus connectée aux multiples facettes de son identité.

À cette époque, je travaillais dans le cinéma. C’était mon premier poste dans le domaine que je rêvais d’intégrer, et je m’y donnais à fond. Malgré quelques épisodes compliqués dans mon enfance et mon adolescence, ma vie semblait, à ce moment-là, relativement stable. J’avais un travail qui m’intéressait, des amis, des proches, de quoi avancer sans trop me poser de questions. Pourtant, un mal-être subsistait. C’est pourquoi j’ai décidé d’entamer une psychanalyse, pour creuser des sujets enfouis. Au même moment, l’état de santé de ma grand-mère s’est rapidement détérioré. Lorsqu’elle est partie, ce fut un choc, j’étais comme figée et je me suis réfugiée dans le travail en même temps que j’ai augmenté ma consommation de cannabis. Les premières semaines, j’ai tenu bon, mais avec la fatigue et la douleur refoulée, quelque chose a fini par lâcher. Au bureau et sur les tournages, je me donnais en spectacle, je parlais trop fort, j’étais convaincue que les scénarios qu’on me faisait lire racontaient mon histoire personnelle. Peu à peu, la frontière entre fiction et réalité s’est effacée. 


Ma psychanalyste a perçu avant tout le monde ce moment de bascule. Je me souviens qu’avant mon départ pour un tournage dans le sud, ce fameux tournage où j’ai vraiment déconnectée, elle m’avait dit : « Vous pouvez m’appeler jour et nuit. » Un jour sur ce tournage, après une soirée un peu trop arrosée et plusieurs nuits sans sommeil, mon patron m’a dit : « Ne viens pas travailler. Repose-toi aujourd’hui. » Au lieu de souffler, j’ai mis la musique à fond, fumé des joints, dansé sur le balcon, devant l’équipe avec qui on partageait la maison. J’étais dans mon monde. J’ai même cru qu’il se passait quelque chose entre mon patron et moi, alors qu’il essayait juste de prendre soin de moi. 

« Si tu racontes tout, on va t’enfermer pour toujours »


À la fin du tournage, j’ai voulu revenir au bureau, comme si de rien n’était. Comme si je n’avais pas montré publiquement mes faiblesses et ma déconnexion sur mon lieu de travail. Je me sentais invincible, comme si j’avais un rôle à jouer, une mission à accomplir. Plus les jours passaient, plus je prenais la parole dans l’open-space sans qu’on me la donne, je critiquais le milieu du cinéma. Je voyais bien que je mettais mes collègues mal à l’aise. Mon patron a fini par me dire : « Là, faut vraiment que tu t’arrêtes. Il faut que tu prennes le temps de faire ton deuil, tu ne vas pas bien »  Je me suis enfermée chez moi, à fumer des joints, à lire et à écrire. Le délire m’habitait de plus en plus et j’oscillais entre moments de grande lucidité, de beau et d’angoisse extrême. C’est difficile à décrire aujourd’hui, mais pour résumer, je dirais que j’avais l’impression de comprendre de nouvelles choses sur moi, sur ma vie, sur l’état du monde. Par exemple, je me souviens avoir appelé ma sœur pour lui dire qu’on appartenait à une sorte de groupe « à part », que les enfants endeuillées détenaient un secret que les autres n’avaient pas. Tout faisait sens, tout prenait sens. Jour et nuit, mes doigts tapaient frénétiquement sur le clavier. J’étais persuadée d’avoir des réflexions brillantes, d’être une future auteure à succès. Je voyais encore ma psy deux fois par semaine. C’était une bouée, même si je ne l’identifiais pas comme telle. Ma sœur, dont je suis très proche, s’inquiétait énormément de mon isolement et de mes innombrables logorrhées. Je suis finalement partie vivre chez elle. Je ne sais plus si c’est elle ou moi qui l’a décidé, mais je savais que c’était la bonne décision, je n’y arrivais plus. C’est important pour moi de le dire : même dans la situation la plus difficile, j’ai toujours eu un réflexe de survie. Une petite voix en moi répétait : « Tu es en train de devenir folle, il faut que tu luttes pour ne pas passer entièrement de l’autre côté. » 


À ma sœur, à mes proches, je me retenais de dire ce que je vivais à l’intérieur de moi parce que je pensais que si je racontais tout, les flics allaient débarquer et que j’allais être internée. Dans ma tête, je vivais plusieurs « rôles » : la femme amoureuse, la femme littéraires, mais aussi une femme surveillée par les services secrets. J’étais persuadée que la police m’écoutait, que mes proches étaient à la fois avec et contre moi. Le compagnon de ma sœur m’a demandé si j’avais fait quelque chose de grave. Moi, je disais : « Je sais que j’ai fait quelque chose, mais je ne me souviens pas. » À ce moment, je faisais beaucoup de crises d’angoisse, jusqu’à finir un soir aux urgences. À l’hôpital, j’ai réussi à cacher ce qui se passait dans ma tête. J’avais trop peur qu’en le verbalisant, je reste coincée dans cet état, que ça devienne trop réel et qu’on m’enferme pour toujours. Finalement, les médecins m’ont donné de quoi apaiser mes angoisses, et je suis retournée chez ma sœur.


Le temps a dû paraître long, très long, pour elle et mon beau-frère. Qui a envie de vivre avec une trentenaire qui pense réellement que la télé lui parle ?  Qui pense qu’elle est à la fois une dangereuse criminelle et potentiellement l’élue devant remplir une mission divine ? J’avais parfois des pensées suicidaires parce que tout était trop intense. Un jour, mon beau-frère m’a motivé à sortir et c’est là que j’ai entendu la foule me parler. Mon identité juive s’est mêlée à mon délire : j’entendais des voix dans la rue qui me traitaient de collabo… Mais comment pourrais-je l’être, moi, descendante de déportés ? Dans ma tête, tout semblait connecté, mais c’était trop lourd, oppressant. Je me répétais : « Je suis un monstre, pourquoi est-ce que je dois endurer tout ça ? »

Rendre les armes et se reconstruire

Dans les jours qui ont suivi, j’ai pris la décision de me rendre à Saint-Anne, d’abord pour protéger mes proches, et puis pour me protéger moi. Je ne pouvais plus supporter tout ce qui m’arrivait et je voulais que les voix dans ma tête s’arrêtent. Parce que j’avais terriblement peur qu’on m’enferme à jamais, j’ai pris la décision de ne pas tout révéler quant à ce qui me traversait, de rester sur mon identité “normale”. J’étais une patiente qui souffrait et j’acceptais l’hospitalisation. À Saint-Anne, on ne m’a pas gardée, on m’a orienté vers une structure plus adaptée à Bastille. Lorsqu’on m’a demandé si je voulais être transférée en ambulance ou y aller à pied, j’ai insisté pour l’ambulance. Je voulais que ce départ soit cinématographique, marquant. Dans ma tête, j’étais escortée par Tom Cruise…


Je me souviens de mon arrivée à Bastille : une attente interminable. L’endroit ressemblait à une prison. Assise, j’attendais, persuadée d’avoir perturbé l’organisation du lieu. Il y avait ce soignant, avec son gros trousseau de clés, qui allait et venait nerveusement. Le bruit des clés me hantait. Quand j’ai enfin vu un psychiatre, accompagné d’une infirmière – « procédure obligatoire » m’a-t-on dit – j’ai tout de suite imaginé qu’ils me trouvaient trop dangereuse. Ce psychiatre, jeune et sympa, m’a semblé différent. Je l’ai perçu comme un allié et je me suis un peu ouverte. J’ai même osé lui demander s’il faisait partie de la police. Une trace de cet échange figure sur mon compte-rendu d’hospitalisation. Ils m’ont attribué une chambre, très sommaire, sans fenêtre, avec une lumière artificielle. Rien de contraint pourtant : c’est moi qui avais choisi d’être là. Mais je pensais qu’on me filmait, que j’étais dans une grande télé-réalité. Ceux qui m’entouraient ? Pour moi, ils jouaient aux fous, mais ils ne l’étaient pas vraiment. Je trouvais leurs comportements trop caricaturaux. 


Je me disais : « Non mais attends, ton rôle, là, c’est trop grossier. Tu joues mal le fou. » Il y avait celui qui pleurait après une rupture, l’autre qui tapait sur la table sans raison… C’était trop. Dans ma tête, il y avait cette dualité, ces identités et réalités multiples : est-ce que j’étais une patiente en psychiatrie qui devait avaler ses médicaments ou juste une femme coincée dans un scénario où tout le monde jouait un rôle comme dans “The Truman show” ? Une chose, une seule, restait claire pour moi : je voulais revenir à moi. En finir avec mon délire. On m’a accordé des permissions pour sortir, aller jusqu’aux quais à Bastille ou à la librairie, puis revenir. Mais ça ne me réussissait pas du tout. Dès que je sortais, j’entendais la foule parler de moi. J’étais à présent persuadée d’être victime d’une attaque cyber, que tout le monde avait vu des photos intimes de moi… Le lendemain, je devenais la descendante de Simone Veil. C’était insupportable. MAIS QUI ÉTAIS-JE VRAIMENT ? LE BIEN OU LE MAL ? Et d’abord, selon quel espace temps ?


Quand je suis rentrée chez moi au bout de deux semaines, ça n’allait pas forcément mieux. C’est moi qui ai insisté pour sortir, l’hospitalisation était trop éprouvante, j’avais du mal à rester à ma place. J’ai été suivie quelque temps par une psychiatre en CMP (centre médico-psychologique, ndlr) que j’ai rencontrée après mon hospitalisation. Le traitement médicamenteux commençait à vraiment faire son effet, je sortais peu à peu du délire, mais je n’allais vraiment pas bien. Grâce à ma psychiatre et à mon ancienne psychanalyste, qui ont mobilisé leur réseau, j’ai pu intégrer une clinique privée, où je suis restée deux mois et demi. C’est là que le travail de reconstruction a vraiment commencé. 

Retour à soi et réflexions

À la clinique, il y avait un vrai cadre thérapeutique avec des activités de groupe, du sport, des ateliers d’expression…  Au début, je trouvais ça ridicule. Puis, j’ai fini par m’y intéresser. Je me suis fait “des amis”. Contrairement à l’hôpital où je voyais les autres comme des caricatures, ici, les gens me paraissaient normaux, sensibles, brillants. Ce collectif m’a portée, dans un moment où j’avais l’impression de ne plus exister. Il m’a permis de me reconnecter à la jeune femme que j’étais, dans le monde “normal” et m’a permis de reprendre confiance en moi.


La clinique a aussi été le lieu où, à force de suivi et de traitements, le délire a fini par se dissiper entièrement, laissant place, hélas, à une profonde dépression. C’était violent de revenir à la réalité. J’avais vécu des choses extraordinaires, effrayantes, mais aussi sublimes, des moments d’éveil, de connexion au monde. Et puis, d’un coup, tout s’est effondré. Revenir à la réalité a été progressif, grâce aux médicaments ajustés sans cesse et au cadre thérapeutique. Quand le délire est parti pour de bon, il a laissé un vide immense. Aujourd’hui, je peux dire que c’est l’expérience la plus dure que j’ai vécue dans ma vie, mais elle m’a aussi beaucoup construite. Elle m’a montré que j’étais beaucoup plus forte que je le pensais. J’ai survécu à ça. Je suis revenue de là où on ne revient pas.


Aujourd’hui, j’ai commencé à écrire sur cette période pour comprendre mon histoire et me la réapproprier. Concernant mon trouble psychique, on ne m’a jamais donné de diagnostic clair. On m’a parlé d’un possible trouble bipolaire et d’ailleurs, chaque jour, je prends des régulateurs d’humeur. Ce qui reste du délire, c’est cette force que j’ai découverte en moi. Parce que cet épisode, aussi violent qu’il ait été, fait partie de moi. Il m’a permis de m’exprimer et de côtoyer plusieurs personnages et personnalités. Longtemps, j’ai été cette petite voix qui doutait, qui s’excusait d’exister. Aujourd’hui, je suis une femme qui s’excuse moins, qui doute toujours autant, mais qui aime être de ceux qui doutent. J’ai enduré des expériences que je croyais insurmontables et je suis parvenu, avec l’aide de soignants, à revenir à moi et à me rétablir. Lors de mon voyage – je l’appelle ainsi – j’ai exploré plusieurs facettes de mon identité et je me suis rapprochée des mes ancêtres. On sous-estime la place de la transmission dans notre identité, on sous-estime tout ce que l’on pourrait être ou ce que l’on est déjà. Je ne sais pas si ce parcours, avec ses ombres et ses éclats, m’a rendue plus lucide sur la personne que j’étais. Mais une chose est sûre : il m’a rendue plus fière de mes valeurs et plus ancrée, face à l’immensité. À défaut de savoir qui je suis, je sais que j’évolue, je sais que je suis en vie et en-celà une réussite pour moi. 

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

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Troubles psychiques : l’écriture comme outil pour se réapproprier son histoire


Comment reprendre le contrôle de son histoire quand on vit avec des troubles psychiques ? Depuis plus de vingt ans, Nathalie Aoustin, Vice-Présidente de la Fédération Santé mentale France, anime des ateliers d’écriture au sein de différentes structures où elle ne se place pas du côté du soin, au sens médical du terme, mais de l’art et de l’expression. Pour Plein Espoir, elle nous explique que l’écriture n’est ni un traitement ni une analyse, mais avant tout un espace de création et de jeu, une manière de retrouver sa propre voix. Hors du cadre médical, c’est une autre façon d’exister pour les personnes concernées, sans être définies uniquement par un diagnostic. En mettant des mots sur son vécu, on peut parfois se remémorer des fragments du passé, reconnecter des souvenirs enfouis, mais aussi prendre de la distance avec son trouble. L’écriture ouvre alors une autre perspective sur soi. Une première étape pour se réapproprier son récit et, peut-être, amorcer un chemin vers le rétablissement.

Plein Espoir : Depuis plus de vingt ans, vous animez des ateliers d’écriture créatifs pour des personnes touchées par des troubles psychiques. Comment ce projet est-il né ?


Nathalie Aoustin : J’ai grandi dans une famille où l’art et la lecture avaient une place très importante. Mes parents étaient enseignants, et ils m’ont transmis cette sensibilité. J’ai fait des études d’arts plastiques à Toulouse, puis de Lettres modernes à la Sorbonne, à Paris. Tout allait bien, jusqu’à la préparation de l’agrégation où j’ai connu ma première hospitalisation en psychiatrie. Ça a tout remis en question. J’ai dû quitter Paris et revenir à Toulouse, où une psychiatre-psychanalyste m’a diagnostiqué une psychose maniaco-dépressive. C’est elle qui m’a orientée, en 1997, vers l’association Bon Pied Bon Œil, un lieu d’échange entre usagers, qui est ensuite devenu un groupe d’entraide mutuelle (GEM).


J’y ai animé mon tout premier atelier d’écriture, sans me douter à l’époque que ce serait un tournant décisif. C’est là que j’ai compris que l’écriture pouvait être bien plus qu’un simple exercice : un espace de liberté, un moyen d’exister autrement. Depuis, j’interviens dans différents lieux de soins et au sein des GEM. Ce qui caractérise mon approche, c’est que je me tiens en décalé du cadre médical. Je ne suis pas dans le soin à proprement parler, mais du côté de l’art, du littéraire. L’écriture n’est pas prescrite comme un traitement, elle n’est pas contrainte par un cadre thérapeutique. Elle est un terrain d’exploration, un espace où chacun peut déposer ses mots à sa manière, sans obligation de raconter sa maladie, sans crainte d’être jugé. Pour beaucoup, c’est une autre façon d’aborder ce qu’ils traversent. Ils se découvrent autrement, réapprennent à raconter leur histoire sous un angle nouveau. Et cette ouverture, parfois, permet d’amorcer un chemin vers le rétablissement.

Plein Espoir : En quoi l’écriture peut-elle être un outil précieux pour les personnes vivant avec des troubles psychiques ?


Nathalie Aoustin : L’écriture permet d’exprimer son vécu sans être enfermé dans le cadre du soin. Elle aide à raconter son histoire autrement, à la reprendre en main. Mais elle joue aussi un rôle essentiel dans la mémoire. Quand on vit avec des troubles psychiques, certaines périodes de notre vie peuvent nous échapper, devenir floues, difficiles à reconstituer. Écrire, c’est parfois retrouver des morceaux oubliés, remettre du lien entre les événements.


C’est un processus qui peut être douloureux, car faire émerger ces souvenirs, les poser sur le papier, oblige à les regarder en face. Mais dans un cadre bienveillant, comme celui d’un atelier d’écriture, cela devient une première étape. Une façon de renouer avec son parcours avant, si besoin, d’en parler plus en profondeur avec un thérapeute. L’écriture ne soigne pas, mais elle prend soin, elle ouvre une porte, elle permet de mettre en mouvement ce qui était figé.

Plein Espoir : Comment expliquer que certains souvenirs refont surface à travers l’écriture ?


Nathalie Aoustin : L’écriture agit parfois comme un déclencheur, mais ce n’est pas systématique. Chez certains, poser des mots sur le papier fait ressurgir des images, des sensations, des bribes du passé. Ce qui compte, c’est de laisser venir les choses sans forcer, en respectant le rythme de chacun.


J’ai remarqué que lorsqu’un événement douloureux est enfoui, il peut ressurgir autrement, sous une autre forme. C’est souvent le cas, par exemple, pour certains troubles alimentaires qui peuvent être liés à des traumatismes vécus dans l’enfance ou la préadolescence. Mais il faut aussi garder en tête que certaines personnes préfèrent ne pas se souvenir. Parfois, l’oubli est une protection. Pourtant, à mon sens, la mémoire joue un rôle essentiel dans le processus de cicatrisation. Dans ce contexte, l’écriture offre un espace où ces souvenirs peuvent émerger et se déposer, sans pression. Ce n’est pas une finalité en soi, mais souvent une première étape, un moyen d’amorcer un apaisement avec son histoire personnelle.


Plein Espoir : Lorsqu’on reçoit un diagnostic, y a-t-il un risque de s’y enfermer, de ne plus voir le reste ? Comment l’écriture peut-elle aider à dépasser cette étiquette ?


Nathalie Aoustin : Oui, ça arrive. Pour certains, poser un diagnostic est un soulagement, car cela met enfin des mots sur ce qu’ils traversent. Mais parfois, cela devient une limite, une étiquette qui prend toute la place. On en vient à ne plus se voir autrement qu’à travers son trouble. Et on oublie qu’un rétablissement est possible.


L’écriture permet justement de redonner de la place à tout ce qui existe au-delà du trouble. Sur une feuille, on peut poser ses pensées sans pression, on peut inventer, jouer, imaginer, sans devoir formuler les choses comme dans un entretien avec un soignant. Beaucoup de personnes me disent qu’écrire est plus facile que parler. Dans un atelier, la page devient un espace intime et libre, sans jugement. Chacun peut choisir de partager ou non ce qu’il a écrit. Parfois, il arrive qu’une personne préfère garder son texte pour elle, et qu’elle finisse par le lire à quelqu’un de son choix, dans l’institution.


Pour moi, l’important, c’est d’ouvrir des chemins d’écriture, de proposer des points de départ : ça peut être un mot, une image, une phrase d’auteur. Chacun doit pouvoir explorer à son rythme, sans rester bloqué face à une page blanche. Et souvent, cela aide à redonner confiance, à se reconnecter à soi autrement que par le prisme du diagnostic.


Plein Espoir : Quel regard portez-vous sur le pouvoir thérapeutique de l’écriture ?


Nathalie Aoustin : Encore une fois, et c’est important pour moi de le rappeler, je me place du côté de l’artistique. Maintenant, il est vrai que l’écriture a un effet thérapeutique de surcroît. Ce n’est pas mon objectif premier, mais c’est quelque chose qui vient naturellement avec la pratique. Grâce aux mots, aux images, aux références littéraires ou artistiques que l’on choisit, on ouvre des espaces intérieurs, on se reconnecte à soi. Et dans les moments difficiles, écrire permet de se rassembler, de mettre du sens sur ce que l’on traverse. L’écriture, c’est aussi un processus. Ce que l’on pose sur le papier un jour, on peut le reprendre plus tard, le retravailler, en faire quelque chose de beau, ou simplement y revenir avec un regard neuf. Il est arrivé que certaines personnes soient publiées. 


Dans les ateliers que j’anime, j’ai vu des personnes hospitalisées pour des troubles alimentaires ou suite à des crises d’angoisse trouver, à travers l’écriture, des clés essentielles. Parfois, en écrivant, des souvenirs remontent, des éléments du passé prennent une autre signification. Une jeune fille souffrant d’anorexie a ainsi retrouvé, dans ses textes, l’importance de sa grand-mère dans sa vie, ce qui lui a ouvert une nouvelle réflexion sur son parcours. Une autre personne, qui souffrait de crises d’angoisse sévères, a découvert en écrivant que leur origine remontait au départ brutal de son psy, une peur de l’abandon qu’elle n’avait pas encore identifiée. L’écriture ne remplace pas la thérapie, mais elle permet d’amorcer un travail. C’est une porte d’entrée vers soi, une façon de mieux comprendre ce qui nous habite.

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Trouble psychique et identité : se réapproprier qui l’on est


Qui suis-je ? C’est une question difficile pour tout le monde, mais peut-être encore plus quand on vit avec un trouble psychique. Longtemps, Fabienne Germond – connue pour son engagement en faveur de la santé mentale, notamment dans le milieu professionnel – a longtemps avancé sans mettre de mots sur son trouble anxieux et dépressif, naviguant entre phases de mieux-être et rechutes, entre traitements et silences. Jusqu’au jour où tout a basculé. Pour Plein Espoir, elle revient sur son parcours, son cheminement vers le rétablissement et la manière dont elle a appris à vivre avec son trouble sans le laisser définir qui elle est. Trouver un équilibre, accepter sa réalité, ne plus lutter contre soi-même : autant d’étapes qui lui ont permis, peu à peu, de s’apaiser et de se réapproprier son identité.

Plein Espoir : Comment le trouble psy est-il entré dans votre vie ?


Fabienne Germond : Mon trouble anxieux – anxieux et dépressif, en fait – s’est manifesté dès l’adolescence. J’avais seize ans quand j’ai poussé la porte d’un psychiatre pour la première fois. J’ai aussi pris des traitements, par périodes. Mais la vie continuait. J’ai fait de longues études supérieures, je suis entrée dans le monde du travail. Avec, toujours en arrière-plan, des moments où il fallait un suivi, d’autres où je pouvais m’en passer. Parfois des médicaments, parfois rien. C’était là, en filigrane, sans que je mette un nom ou une étiquette dessus. Une espèce de présence diffuse, ni tout à fait admise, ni totalement ignorée. On me demande souvent pourquoi je n’y ai pas plus fait attention plus tôt, mais je crois que je culpabilisais de ne pas réussir à avancer comme les autres, pas comme j’aurais dû. Et puis en 2008, ma fragilité, qui jusque-là restait un peu en sous-marin, est ressortie d’un coup. Plus moyen de faire comme si de rien n’était.

Plein Espoir : Que s’est-il passé à ce moment-là ? 


F. G. : À ce moment de ma carrière, j’avais un poste très axé client, satisfaction, résultats… Un univers ultra-industriel, avec une pression énorme. Au début, ça allait. Et puis, ça s’est dégradé. Une collègue s’est lancée dans une compétition avec moi et en parallèle, mon volume horaire a explosé. Je m’écroulais de sommeil et après deux heures, j’étais réveillée. Mon cerveau était en boucle sur ce que j’avais fait la veille, ce que je devais faire, ce qu’il fallait rattraper. J’étais complètement obsédée par le boulot, les objectifs à atteindre, j’ai perdu l’appétit et à un moment ça a craqué. Un week-end, j’ai fait une grosse crise de larmes et j’étais incapable de bouger. J’ai fini par appeler un psychiatre et j’ai été en clinique de repos pendant plusieurs mois. 

Quand je suis sortie, la bataille était loin d’être terminée. J’ai sombré dans une profonde dépression, trois ans d’épuisement, de doutes, d’incapacité à me relever. J’ai dû me résoudre à un arrêt de longue durée. Heureusement, mon entreprise m’a permis d’intégrer un parcours de maintien en emploi. C’est dans ce cadre que j’ai découvert l’association Clubhouse, un espace où l’on sort de l’isolement, où l’on réapprend à exister autrement, où la santé mentale n’est plus un tabou mais une réalité qu’on apprivoise. Ce fut un tournant. J’ai compris, enfin, que mon trouble psychique faisait partie de moi. Qu’il n’était ni un fardeau à cacher, ni une fatalité à subir. Je pouvais choisir la place qu’il occuperait dans ma vie. Paradoxalement, c’est dans la chute que j’ai commencé à trouver mes réponses. 


Plein Espoir : Vous dites que le Clubhouse a joué un rôle clé dans votre recherche d’identité. Était-ce parce que, pour la première fois, vous pouviez échanger avec des personnes qui traversaient les mêmes épreuves ? Parce que vous vous sentiez enfin comprise ?


F. G. : J’ai peu à peu investi le champ de la santé mentale, découvert ses acteurs, compris les dynamiques qui le traversaient. Il y avait le monde associatif, le secteur médical, les travailleurs sociaux. Mais surtout, il y avait celles et ceux qui vivaient avec un trouble psychique, comme moi. Ce réseau, cette communauté, ont joué un rôle essentiel. Rencontrer d’autres personnes concernées m’a permis de respirer. J’ai pu poser ma souffrance, la sortir du silence, la mettre en mots. Et cette parole, je l’ai travaillée, affinée. Au Clubhouse, nous avons mené un long travail sur le témoignage : raconter son parcours, poser noir sur blanc ce que l’on avait vécu, mettre en récit les étapes, les chutes, les moments de bascule. Il ne s’agissait pas seulement d’écrire, mais de réfléchir ensemble à ce que ces trajectoires disaient de nous, de nos fragilités, de nos résiliences. Ce travail d’introspection a été fondamental. Il m’a permis, petit à petit, de prendre de la distance avec cette souffrance. Elle est toujours là, bien sûr. Elle fait partie de moi, de mon histoire, de mon identité. Et à partir du moment où j’ai pu la nommer, l’identifier, l’accepter, elle a cessé d’être un poids.


Et puis, au fil des rencontres, j’ai vu d’autres personnes traverser les mêmes épreuves. Certaines avaient des parcours plus lourds que le mien. Ce n’est pas une question de hiérarchie dans la douleur – on ne cherche pas à savoir qui souffre le plus. Mais il y a quelque chose de profondément apaisant à se sentir appartenir à un collectif. À savoir que l’on partage une expérience commune, que l’on peut se reconnaître dans le vécu de l’autre. Cela m’a appris à relativiser, à changer de regard. On passe de je ne peux pas à je peux, malgré tout. Peu à peu, on se décentre. On ne se regarde plus seulement soi-même : on voit les autres, on comprend qu’ils existent, qu’ils avancent, eux aussi. Et cette prise de conscience fait toute la différence.


Plein Espoir : À travers ce travail, considérez-vous que le trouble occupe une place essentielle dans votre identité ?


F. G. :  C’est une question que je me suis souvent posée. Au Clubhouse, on travaillait sur la manière de parler de sa maladie, sur le langage à employer, sur la façon dont on se définit. Certains insistaient : on ne dit pas « je suis bipolaire », on dit « j’ai un trouble bipolaire ». Une nuance importante pour beaucoup. Mais ce débat m’a toujours dépassée. Dire j’ai un trouble anxieux ou je suis anxieuse, pour moi, ça revient au même. Je ne m’attarde pas sur les mots. Ce qui compte, c’est ce que cela représente dans ma vie. Et pour moi, ce trouble fait partie de mon identité. Il n’est pas toute mon identité, mais il n’est pas négligeable non plus.

Je vis avec. Je l’accepte. De toute façon, je n’ai pas vraiment le choix. Mais l’accepter, ce n’est pas le subir. C’est négocier avec lui, jour après jour. Trouver un équilibre. Alors non, je ne passe pas mon temps à y penser, je n’en parle pas tout le temps. Mais c’est là, en toile de fond. Il faut rester vigilante, ajuster en permanence. Apprendre à se protéger de soi-même, de ses émotions. Apprendre aussi à se protéger des autres. C’est un travail de tous les jours. Pas toujours visible, pas toujours conscient. Mais il est là. Une sorte d’apprentissage permanent, qui continue encore, qui continuera toujours.


Plein Espoir : Quand on vous demande de parler de vous, est-ce que vous évoquez facilement votre trouble psychique ?


F. G. : Oui, assez facilement. Mais ça dépend toujours du contexte. Je ne vais pas en parler à n’importe qui, n’importe quand. J’essaie de sentir si c’est le bon moment, si l’environnement s’y prête. Est-ce que la discussion est propice ? Est-ce que mon interlocuteur est réceptif ? Est-ce pertinent d’en parler ici et maintenant ? Dans mon cadre professionnel, par exemple, je suis à temps partiel et je fais beaucoup de télétravail. De fait, je suis un peu en marge du fonctionnement quotidien de mes collègues. Mon rythme est lié à des problématiques de santé, et là-dessus, je n’ai aucun mal à me livrer.

Récemment, j’ai partagé mon histoire dans un livre de Claire Le Roy Hatala sur les troubles psychiques et le travail. J’ai montré l’ouvrage à mon supérieur et on en a discuté. Par ailleurs, j’interviens parfois pour des sensibilisations en entreprise. Ces engagements nécessitent de m’absenter, mais dans le cadre du mécénat de compétences, ce qui suppose d’en parler à mes responsables. Là encore, j’aborde le sujet sans difficulté.


Plein Espoir : Pour vous, le rétablissement passe-t-il forcément par une forme de paix avec soi-même ?


F. G. :  Oui. Après, ce n’est pas tous les jours facile, ni même possible. Il y a des moments où l’on refuse d’admettre, où l’on s’accroche à l’illusion que tout va bien. D’autres où l’on s’effondre, où l’on se laisse submerger par la tristesse. Et bizarrement, ça fait du bien. Se décourager, s’accorder un instant de répit dans la lutte, c’est parfois nécessaire. Mais ce que j’ai appris, c’est qu’il ne faut pas rester dans la plainte ou dans l’immobilisme trop longtemps parce que ça ne mène nulle part. À un moment, il faut réussir à reprendre pied, à retrouver un équilibre.


Moi, quand je suis au plus bas, je m’agace, je bouillonne intérieurement. Mais avec le temps, j’ai compris que ces moments faisaient partie du processus. Ils ne sont pas des échecs, juste des passages inévitables sur un chemin plus long. Le plus difficile, c’est qu’on aspire toujours à retrouver un état d’avant. Comme si le but était de redevenir exactement la personne que l’on était. Mais il faut accepter que cette version-là de soi n’existe plus tout à fait. Le seul moyen d’avancer, ce n’est pas d’effacer ce qui a changé, mais de l’intégrer.


L’acceptation, c’est essentiel. Pas au sens de la résignation ni du renoncement. Ce n’est pas se dire c’est comme ça, je n’y peux rien, ni réduire toute son identité à son trouble. C’est plutôt comprendre qu’il fait partie du paysage, qu’il faut trouver comment composer avec. Et c’est aussi apprendre à être indulgent avec soi. À reconnaître qu’il y aura toujours des jours plus compliqués que d’autres. À comprendre que parfois, ces ralentissements que notre corps nous impose ne sont pas des obstacles, mais des signaux. Peut-être qu’ils sont là pour rappeler qu’on a trop tiré sur la corde, qu’on a besoin d’un pas de côté. Peut-être qu’au fond, le rétablissement, ce n’est pas chercher à redevenir comme avant, mais apprendre à exister autrement.

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Un jour, mille rôles : mon quotidien avec un trouble psy


Dans une journée, on enchaîne les rôles sans même y penser : parent, salarié, ami, conjoint… Mais quand on vit avec un trouble psychique, tout peut sembler plus lourd. Parfois, la maladie rend difficiles des gestes simples pour les autres. Souvent, il faut cacher sa fatigue, ses angoisses, faire semblant pour rassurer et avancer. Trouver un équilibre entre ce qu’on ressent et ce qu’on montre reste un défi. Pour mieux comprendre comment on jongle avec tous ces rôles, nous avons suivi Alma (1), personne concernée par un trouble bipolaire et maman de deux petites filles. Elle nous raconte une journée de sa vie, jonglant entre les rôles de maman, compagne, femme et patiente, entre doutes, espoirs et petites victoires.

Alma a 35 ans. Elle est la maman de Julia et Anna, trois ans et un an et demi. Avec Fabien, son compagnon, ils ont tous les deux décidé de quitter Nantes pour s’installer dans un village au bord de la mer. Leur maison est petite, mais leur jardin est grand, et surtout, leurs filles peuvent grandir au calme, loin du bruit de la ville. Ce changement de vie, Alma l’a aussi voulu pour elle et ça l’aide à retrouver un équilibre. À 25 ans, on lui a diagnostiqué un trouble bipolaire. Elle souffre également d’endométriose pour laquelle elle attend une opération. Depuis quelque temps, une suspicion de trouble de l’attention et de haut potentiel intellectuel (HPI) soulève d’autres questions sur sa manière de fonctionner et d’interagir avec le monde. Chaque jour, Alma jongle entre ses rôles : maman, compagne, femme, mais aussi femme en parcours de rétablissement, vivant avec un trouble psychique. Ce n’est pas toujours facile, souvent épuisant. Mais elle avance avec force et espoir. Pour Plein Espoir, elle a accepté de partager son quotidien, avec ses défis et ses victoires, dans l’espoir d’apporter du soutien à celles et ceux qui traversent les mêmes épreuves.


10h, patiente : Je ne vais pas mentir : en ce moment, ce n’est pas la grande forme. On m’a dit que c’était courant chez les personnes bipolaires, cette fatigue qui s’installe dès décembre et m’épuise jusqu’en février. Je dors beaucoup, mais jamais assez. Chaque matin, mon corps peine à se lever, mon esprit reste engourdi, comme s’il refusait d’affronter le jour. Heureusement, avec Fabien, on a trouvé un équilibre. Il sait que le matin est mon moment le plus difficile, alors il prend le relais. Il prépare le petit déjeuner des filles, puis les emmène à l’école, ce qui me permet de dormir un peu plus longtemps et de me réveiller à mon rythme. Quand la maison redevient silencieuse, c’est le seul moment de la journée où je ne porte aucun rôle. Je ne suis pas encore la mère qui rassure, la compagne qui soutient, la femme qui tient bon. Je suis juste moi, seule avec ma maladie. Alors, je me prépare un café, je prends mes médicaments – du Valium, pour calmer mes angoisses – et j’essaie d’entrer doucement dans la journée.


12h, travailleuse : Après des études aux Beaux-Arts, que j’ai dû interrompre à cause d’un long séjour en maison de repos et d’une relation amoureuse difficile, je me suis beaucoup cherchée. J’ai exploré plusieurs chemins : la photographie, la scénographie, différents projets créatifs. Mais à chaque fois, le rythme était trop intense, les remarques des collègues trop lourdes à encaisser. Puis l’endométriose est venue compliquer les choses, m’empêchant de travailler pendant des mois.


Aujourd’hui, après une longue période sans activité, je me sens prête à faire quelque chose. Pourtant, ce rôle de travailleuse me coûte énormément. Il faut faire les démarches administratives pour la reconnaissance de mon handicap, apprendre à être ponctuelle, consulter les offres d’emploi, refaire mon CV en essayant de combler les trous, se projeter dans un futur incertain. Ce n’est pas simple. Et même quand un poste m’attire, une question me hante : est-ce que je suis capable de le faire ? Avec ma coach, on essaie d’identifier ce qui me conviendrait le mieux. Faut-il demander une reconnaissance de handicap auprès de la MDPH pour ma bipolarité ou pour mon endométriose ? On ne peut pas faire les deux. Comme s’il fallait choisir quelle partie de moi mérite le plus d’être prise en compte. Pourtant, ces deux aspects de ma santé dictent mon quotidien.


Malgré tout, je continue d’avancer. Je réfléchis à plusieurs options : m’investir dans une association d’aide aux femmes victimes de violences, dans la sensibilisation à la santé mentale, ou bien relancer une activité artistique en freelance. Trouver sa place dans un territoire isolé, même quand on est parti par choix, n’est pas évident, mais pour la première fois depuis longtemps, j’ai envie d’y croire.


14h, patiente : Avec la fatigue, j’ai beaucoup de mal à me concentrer en ce moment. Alors, j’ai besoin de récupérer. Au début, ça m’inquiétait. Aucun des médecins que je vois ne m’avait parlé de cet effet secondaire, et tous me disaient que tout irait bien. Mais la dernière fois, quand j’ai eu rendez-vous chez le radiologue, je lui ai parlé des médicaments que je prenais : trois Valium et du lithium chaque jour. Il m’a répondu que c’était normal. Normal d’être épuisée. Normal d’avoir du mal à se concentrer plus de quelques heures par jour. En un sens, ça m’a soulagée. À défaut de la faire disparaître, j’ai une explication.


Avant d’aller chercher mes filles à l’école, j’essaie de récupérer un peu. Si je ne trouve pas le sommeil, je bouquine ou je m’allonge, le temps de recharger un peu les batteries. Mais ce n’est pas comme le matin, où je peux être simplement moi-même avec ma maladie. Florian n’est pas loin. Quand il me surprend allongée, je fais comme si ce n’était que pour quelques minutes. Comme si je ne faisais que souffler avant de repartir. J’essaie de cacher que j’aurais besoin de plus. Je souris, je dis que tout va bien, que j’étais juste en train de penser. Puis, dès qu’il repart bosser dans son cabanon au fond du jardin, je continue de me reposer.


16h, masque social : Je commence par aller chercher Anna à la crèche. En général, elle me saute dans les bras, un grand sourire aux lèvres. Je discute brièvement avec les autres mamans, échange quelques banalités. Certaines ont l’air vraiment sympas. Depuis notre déménagement, je n’ai plus mes copines, et l’isolement commence à peser. J’ai beau être habituée à composer avec la solitude, je sais que ça n’aide pas mon moral. Avoir plus d’échanges en dehors de mon couple, pouvoir compter sur une oreille attentive, ça ferait du bien. Mais ici, je tiens mon rôle. Je suis la maman sans histoire, celle qui parle des premiers mots, des goûters d’anniversaire, des petites bêtises des enfants. Jamais je ne me risquerais à parler de mes douleurs, de mon trouble, de ces moments où la fatigue est si écrasante que tout me semble insurmontable. Je souris, je donne le change. C’est plus simple ainsi.


Parfois, je me dis que ça serait plus facile si j’avais des amies qui vivaient les mêmes choses que moi. Je pourrais être honnête, ne pas craindre que l’image que je donne se fissure. Mais ici, dans ce petit village, la santé mentale reste un sujet tabou. J’ai peur de la stigmatisation. Peur qu’on me colle une étiquette, qu’on m’évite, ou pire, que mes filles soient aussi exclues. Je n’ose même pas imaginer les chuchotements : « Les filles de la folle ».


Alors, je reste à ma place et je crée du lien social. Une maman comme les autres, ou du moins, c’est ce que j’essaie de montrer. Après la crèche, je récupère Julia à la maternelle. Une dans la poussette, l’autre sur sa trottinette. On rentre à la maison, et c’est l’heure du goûter.


17h, maman investie : Avec mes filles, je suis complètement moi-même. C’est instinctif, naturel. On joue, on rigole, je les regarde grandir et apprendre de nouvelles choses avec bonheur. Même quand je ne vais pas bien, ces moments m’offrent une parenthèse. Pendant ces quelques heures passées avec elles, j’oublie tout le reste. Mon moment préféré, c’est le bain. Elles en mettent partout, ça éclabousse, et on rit aux éclats. Je n’ai pas peur de mal faire, tout se fait spontanément. Et puis, de les voir pleines de vie, ça me rassure. Je me dis que, malgré tout, j’ai réussi quelque chose de beau. Mais il y a aussi les jours plus compliqués. Ceux où j’ai du mal à sortir du lit. J’essaie de faire en sorte qu’elles ne me voient pas trop dans ces états-là. Elles sont encore petites, mais je sais qu’elles ressentent tout. Alors parfois, je fais aussi semblant avec elles. Ou je leur dis que je travaille, pour qu’elles ne s’inquiètent pas.


20h, compagne : Quand les filles sont couchées, j’allume souvent un petit feu dans la cheminée. C’est censé être un moment à deux, un instant de calme avec Florian. Mais je ne vais pas mentir : en ce moment, ce n’est pas simple entre nous. Dès le début, je lui ai tout dit. Que je n’étais pas un cadeau, que je souffrais de bipolarité, que je sortais d’une relation violente qui m’avait laissée en miettes. Il a écouté, il a voulu comprendre. Je crois qu’il ne réalisait pas vraiment ce que ça voulait dire. 


Être compagne, c’est un rôle aussi. Et celui-là, je ne pensais pas qu’il serait si difficile à tenir. Cacher ma maladie aux autres, minimiser, j’y suis habituée. Mais avec lui ? Est-ce qu’on n’a pas envie d’être totalement soi-même avec la personne qu’on aime ? Pourtant, depuis quelques mois, je m’efface. Les deux premières années, tout allait bien. J’étais dans une phase stable, et l’amour portait tout. Mais aujourd’hui, je vais moins bien. Et lui… lui ne le supporte pas. Il me reproche de ne pas avancer, de ne pas faire assez d’efforts pour m’insérer ici, pour retrouver un travail. Quand je lui dis que ça ne va pas, il part. Chez sa famille, chez des amis. Avec les filles, il est un père formidable. Avec moi, c’est un peu plus compliqué, même si je sais que ça le fait souffrir de me voir comme ça. Parfois, je sais qu’un simple câlin suffirait. Mais ce n’est plus possible pour lui. Alors, j’ai commencé à mentir. À dire que ça va, à minimiser mes douleurs, mes angoisses. Ce masque est nouveau. Il me pèse. Mais je préfère ça plutôt que de le voir s’éloigner définitivement.


23h, femme en reconstruction : Après le repas et mes derniers médicaments, je me couche vers 23h. En ce moment, je dors plutôt bien. Enfin, au début. Je m’écroule rapidement, puis, vers 2h du matin, mes yeux s’ouvrent d’un coup. La maison est silencieuse, plongée dans l’obscurité. Florian dort. Moi, je suis réveillée, souvent avec ces douleurs au ventre qui viennent me rappeler que mon corps est aussi fatigué que mon esprit. Alors, pour ne pas le déranger, je me lève. J’attrape un plaid et je vais m’installer dans le salon, seule avec mes pensées. Et c’est là que le bilan s’impose, toujours un peu brutal. Ma relation amoureuse est fragile. Ma vie professionnelle est en suspens. Mais il y a mes filles. Elles sont mon ancre, ma lumière. Dans ces moments-là, je pense souvent que je suis un boulet pour mes proches, pour la société. À d’autres instants, c’est tout l’inverse : une vague d’énergie me prend, et soudain, tout devient possible. J’ai envie de tout faire, de tout reconstruire. Et je repense à la journée, à ces rôles que je joue. Maman, compagne, femme en reconstruction, patiente qui doit se battre pour être entendue. J’essaie de paraître équilibrée, de faire comme si je n’avais pas de trouble psychique, comme si tout allait bien. Tout ça m’épuise.


Je sais que je ne suis pas la seule dans cette situation, mais j’aimerais juste être un peu plus moi, sans avoir à composer en permanence avec les autres et ce qu’ils attendent de moi. Après, je sais qu’avant ça, il faudrait d’abord que j’apprenne à m’aimer un peu plus, avec mes variations, mes changements d’humeur, mes élans et mon épuisement. Et puis, je repense aux rires des filles dans le bain, à leurs petites mains qui s’accrochent aux miennes, à leurs voix qui m’appellent dans la maison. Je repense à ces instants où tout semble juste. Alors, même si cette nuit ressemble à d’autres, même si demain apportera son lot de doutes et de combats, je me dis qu’il y aura aussi des éclats de joie, des moments de douceur, et peut-être, au creux de tout ça, un peu de paix. Je retrouve le sommeil. 

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

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Le trouble psychique change-t-il qui je suis ?


Quand un trouble psychique survient dans notre vie, il ne bouleverse pas seulement  notre quotidien,  nos relations sociales ou notre rapport au travail. Il touche à quelque chose de plus profond : notre identité. On peut alors se demander si le trouble change notre façon d’être, notre personnalité, nos envies ? Mais aussi, comment lui faire une place, sans qu’il n’efface tout le reste ? Ces doutes et ces remises en question sont vertigineux, mais ils peuvent aussi être l’occasion d’apprendre à mieux nous connaître et à se réinventer autrement. Pour explorer ce chemin, Plein Espoir a rencontré Nathalie et Jérémy (1) : deux parcours différents, deux façons de vivre avec un trouble psychique et une manière unique de questionner l’impact de ce trouble sur la construction de l’identité.

Un jour, sans vraiment comprendre pourquoi, tout devient plus difficile. Une tristesse qu’on n’arrive pas à expliquer, une angoisse qui nous paralyse, une fatigue si lourde qu’elle nous cloue au lit. On voudrait continuer de faire comme avant, mais le corps ne suit pas, et la tête non plus. Il pouvait déjà y avoir des signes avant, mais on n’y a pas fait attention. Et puis, un jour, le trouble s’installe vraiment. Les émotions deviennent trop fortes ou disparaissent complètement. Le simple fait de sortir, de voir nos proches, de faire les choses les plus simples demandent un effort immense. Même aller acheter une baguette à la boulangerie est mission impossible.


Avant que le trouble n’arrive dans notre vie, on avait généralement des projets, des envies et surtout, une certaine image de soi. Et puis, du jour au lendemain, tout change. Il faut alors accepter que certaines choses soient plus compliquées, que ça prend du temps, mais aussi découvrir de nouvelles manières d’avancer. On ne va pas se mentir, le chemin vers le rétablissement est généralement long et il faut parfois accepter que la reconstruction ne se fasse pas toujours en une seule fois. Pourtant, ces épreuves nous apprennent beaucoup sur nous-mêmes. Elles nous montrent que l’on peut s’adapter, avancer malgré tout, et que chaque petite victoire compte. Avec le temps, on comprend que le rétablissement, ce n’est pas revenir à un état de santé antérieur et faire disparaître le trouble de notre vie, mais c’est apprendre à vivre avec, sans qu’il prenne toute la place. Alors, même dans les moments les plus difficiles, il est important de s’accrocher, de tenir bon, car avec du temps et du soutien, il est toujours possible d’aller mieux.

Mon trouble, c’est ce qui fait que je suis moi ?

Jérémy a toujours été un enfant dans son monde. Dès qu’il le pouvait, il s’enfermait dans sa chambre pour dessiner et inventer des histoires. Il aimait imaginer qu’il était un super-héros, capable d’effacer la violence du monde ou de s’envoler loin de tout. À l’adolescence, la musique et l’écriture ont pris une grande place dans sa vie. Un refuge pour échapper à ses angoisses. Mais les questions tournaient en boucle dans sa tête, surtout la nuit : « Pourquoi je suis là ? Quelle est ma place ? J’ai déjà 16 ans, donc ça veut dire que je suis plus proche de la mort qu’hier ? » Le pire, c’était quand il regardait les étoiles. « En fait, je suis rien du tout. Une poussière de rien. » Comme il n’arrivait plus à trouver le sommeil, ses parents l’ont emmené voir un psychiatre. Rien n’en est vraiment ressorti : il était juste un ado un peu trop rêveur.


Après le bac, il est entré en école d’art. Un environnement où tout le monde cherche à être unique, mais il était encore différent des autres. Ses rêveries prenaient de plus en plus de place, plusieurs heures par jour. Elles lui semblaient si réelles qu’il avait du mal à en sortir. Résultat : il oubliait les dates de ses rendus, de se faire à manger, de se laver. En cours, son esprit était absorbé par les bruits de stylos, les respirations, les lumières trop fortes. Comme s’il ne savait pas trier ce qui était important. « Je savais déjà que j’étais différent, mais en même temps, je trouvais que le monde était encore plus étrange que moi. » Parfois, il avait des prises de conscience si brutales qu’elles lui faisaient physiquement mal. « Dans ces moments-là, je me recroquevillais sur moi-même, incapable de bouger, avec une douleur très forte dans la poitrine. Il m’arrivait d’avoir du mal à respirer. »


Et puis, un soir, tout est devenu trop lourd pour lui. Il a avalé des médicaments qu’il avait sous la main. Il avait oublié que son copain devait passer pour finir un projet. Il l’a retrouvé allongé sur son lit et a appelé les secours. Après l’urgence, Jérémy a passé plusieurs mois en maison de repos. Ce temps loin du monde a été bénéfique. « L’école d’art m’avait épuisé parce qu’il fallait énormément produire, donc, je me suis reposé et j’ai recommencé à créer à mon rythme. D’abord des dessins, puis j’ai demandé l’autorisation pour avoir un dictaphone et enregistrer les bruits du quotidien. J’ai commencé à imaginer des morceaux et tout un univers musical. » Petit à petit, il a appris à mieux comprendre son trouble. Il n’était pas juste « un rêveur ». Ce qu’il vivait portait un nom : un trouble de l’attention avec une hypersensibilité. Il a mis en place des stratégies pour mieux vivre avec : associer ses routines à des codes couleur, noter ses priorités sur papier, toujours garder un carnet à portée de main, mettre des alarmes sur son téléphone pour ne rien oublier. Comme ça arrive dans la plupart des troubles psychiques, il savait qu’il ne pourrait pas fonctionner comme tout le monde, mais il pouvait trouver des manières de contourner les difficultés.


S’il a quitté l’école sans diplôme, aujourd’hui, il travaille dans une maison de retraite où il anime des ateliers artistiques. Et quelque part, il a trouvé son équilibre. « Quand je me présente, j’ai du mal à ne pas parler de mon trouble tout de suite. Parce que c’est ce qui fait que je suis moi. » Comme beaucoup d’entre nous, il a d’abord cru que son trouble était une faiblesse, un poids à porter. Mais aujourd’hui, il porte un autre regard : 

« Parfois, j’aimerais arrêter les médicaments, ne plus avoir ces moments de peur existentielle, mieux gérer les priorités. Après, je pense que ça me permet de voir au-delà de ce que la plupart des gens ressentent. » Son regard s’adoucit. « Il suffit de voir mes frères et sœurs, qui ne sont pas du tout dans l’art. Ce n’est ni mieux ni moins bien, juste différent. Mais pour moi, c’est une chance. Créer me permet d’exister autrement, de voir le monde à ma façon et de l’exprimer. C’est ma manière de dire ce que je ressens, et c’est important. » 


Beaucoup d’entre nous le savent déjà : l’art peut être un vrai refuge quand on vit avec un trouble psychique. Peindre, écrire, jouer de la musique… Peu importe ce qu’on choisit, créer permet souvent d’exprimer ce qu’on ne peut pas toujours dire. Quand les pensées s’emballent, que l’anxiété est trop forte ou que l’énergie manque, les pratiques artistiques peuvent aider à se recentrer, à poser ce qui déborde. C’est aussi une façon de reprendre le contrôle, de structurer le chaos intérieur, de ralentir et de respirer. 

Quand la rechute bouscule l’identité

Après, même sans trouble psychique, il n’est pas toujours simple d’avoir une vision juste de soi. Alors quand on vit avec, surtout dans les moments de moins bien, cet équilibre devient encore plus fragile. L’image que l’on a de soi se trouble, déformée par la fatigue, l’angoisse ou le doute. On ne se reconnaît plus, on a l’impression d’avoir perdu ce qui faisait notre force, d’être une version diminuée de nous-même. Pour certaines personnes, cette remise en question n’arrive qu’une fois. C’est le cas de Jérémy : son trouble a marqué sa vie, mais il a fini par le comprendre et à s’adapter, sans avoir à tout reconstruire à chaque étape. 


Mais bien souvent, le rétablissement n’est pas une ligne droite. On peut penser avoir trouvé une stabilité, puis une rechute arrive et tout bascule à nouveau. Il faut alors s’adapter et accepter que l’équilibre doit encore être réinventé. C’est ce que vit Nathalie, atteinte d’un trouble anxieux généralisé depuis qu’elle est jeune femme. Après un premier travail sur elle, une rechute a tout remis en question. Et avec elle, une question lourde de sens : Est-ce que j’ai vraiment avancé si je rechute encore ? Qui suis-je en dehors de ces allers-retours entre mieux et moins bien ? « Avant ma rechute, il y a un an, je me voyais comme quelqu’un de fort. J’avais appris à gérer mon trouble anxieux, je me sentais capable, résiliente, nous confie-t-elle. Mon hypersensibilité, je l’avais transformée en force. J’étais engagée dans la sensibilisation à la santé mentale et j’étais fière de défendre l’idée qu’être vulnérable, c’était aussi une forme de puissance. Pleurer, ressentir fort, tout ça, c’était beau. Et puis, un jour, tout a basculé. »


Hospitalisée en clinique psychiatrique quelques semaines, puis en arrêt de travail pendant plusieurs mois, Nathalie a vu son monde s’effondrer. « Moi qui aidais les autres, moi qui tenais bon, je n’étais plus capable de rien. J’étais tout le temps fatiguée, il était impossible de me concentrer, et je n’arrivais même plus à être là pour mes amis. » Quand elle a tenté de reprendre son travail en temps partiel thérapeutique, elle a vite compris que ce n’était pas possible. « Je n’arrivais pas à tenir une journée complète. Mon cerveau ne suivait plus, ma mémoire me lâchait. J’avais l’impression d’être une version diminuée de moi-même. » Son CDD terminé, elle a donc pris la décision de ne pas le renouveler. « J’ai dû me rendre à l’évidence : je ne pouvais plus fonctionner comme avant. J’avais besoin de m’arrêter, de me soigner vraiment, avant de pouvoir repartir. »


Mais avec cette pause est venue une autre bataille : celle de l’identité. « Je me dis tout le temps que je ne suis plus moi. Que je suis cassée. Je veux juste redevenir celle que j’étais avant », nous confie-t-elle. La dépression a brouillé son regard sur elle-même. Avant, elle se définissait par sa capacité à repousser ses limites, à être présente pour les autres, à avancer coûte que coûte. Aujourd’hui, tout lui semble flou. Et c’est normal : quand le trouble nous empêche d’agir comme avant, il devient difficile de se reconnaître, de savoir ce qui reste de soi au-delà des symptômes.


Pourtant, parfois, un regard extérieur peut nous aider à voir autre chose. Quand Nathalie est partie de son travail, elle a reçu une vague d’amour inattendue. « Mes collègues m’ont envoyé des messages qui m’ont bouleversée. Ils m’ont décrit comme quelqu’un de lumineuse, de précieuse… et ça m’a fait un choc. Parce que ce n’est pas du tout comme ça que je me vois en ce moment. » Ces mots l’ont questionné : « Si je n’existe pas que dans mes victoires, alors je n’existe pas que dans mes échecs non plus. Je suis là, peu importe où j’en suis dans mon rétablissement. » Aujourd’hui, elle reconnaît qu’elle est encore en plein cheminement. « Je ne vais pas prétendre que j’ai tout compris. Je doute encore beaucoup. Mais je me dis que si d’autres me voient autrement, c’est peut-être que moi aussi, un jour, je finirai par me retrouver. »

Qui je suis vraiment ?

On le sait bien, l’identité n’est pas quelque chose de figé. Elle évolue, elle se transforme, elle se cherche. Mais quand on vit avec un trouble psychique, elle peut devenir encore plus floue. Certains jours, on a l’impression d’être en accord avec soi, et puis à d’autres moments, on ne se reconnaît plus du tout. Et puis, il y a cette peur. La peur que le trouble prenne toute la place. Qu’il absorbe tout le reste. Qu’il devienne l’unique réponse à la question : Qui es-tu ? Comme si un diagnostic suffisait à tout expliquer. Comme si, au-delà de ça, il n’y avait plus rien. Alors on lutte. Contre le regard des autres, contre les étiquettes, contre cette impression d’être réduit à une case. Parfois, on peut cacher ce qu’on traverse. Parfois, on peut jouer un rôle pour être celui ou celle que les autres attendent de nous, mais aussi, pour ne pas être défini par quelque chose qu’on ne contrôle pas toujours.


Mais alors, est-ce qu’on peut vraiment se résumer à un trouble ? Chez Plein Espoir, on est convaincu que l’identité n’est pas une liste de symptômes. Elle se construit à travers nos expériences, nos souvenirs, nos relations, nos rêves, nos choix – même ceux qui semblent trop petits pour compter. Alors, peut-être que la réponse à Qui suis-je ? change d’un jour à l’autre. Peut-être que parfois, elle nous échappe complètement. Peut-être qu’on doute, qu’on cherche encore des réponses, qu’on hésite ou qu’on se sent perdu. Mais une chose est certaine : on est bien plus qu’un trouble psychique. Et peu importe ce qu’on traverse, notre identité ne disparaît pas. Elle nous appartient, et personne, ni même un trouble qui prend beaucoup de place, ne peut la prendre. Elle est à nous. 

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

Vous souhaitez en savoir plus et rencontrer d’autres personnes engagées dans le rétablissement ? Rejoignez les réseaux sociaux de Plein Espoir, le média participatif dédié au rétablissement, créé par et pour les personnes vivant avec un trouble psychique.


Cet espace inclusif est une initiative collaborative ouverte à toutes et tous : personnes concernées, proches, et professionnels de l’accompagnement. Vos idées, témoignages, et propositions sont les bienvenus pour enrichir cette aventure. Contribuons ensemble à bâtir une société plus éclairée et inclusive.

Quand un trouble psy s’invite dans le couple : comment trouver un nouvel équilibre ?


Quand un trouble psychique s’invite dans le couple, c’est tout le quotidien qui peut être  bouleversé : la vie professionnelle, sociale, les relations sentimentales et parfois même l’amour qu’on se porte. Entre doutes, peurs et incompréhensions, certains couples parviennent à surmonter cette épreuve ensemble, tandis que d’autres prennent des chemins différents. Mais bien que ces moments soient difficiles, ils peuvent aussi offrir l’opportunité de réinventer la relation et de se redécouvrir autrement. Pour mieux comprendre ce qui se joue dans ces moments, Plein Espoir a rencontré Juliette (1), qui a accepté de nous raconter son histoire avec Karim, diagnostiqué d’un trouble bipolaire alors qu’ils étaient déjà en couple, pour nous raconter comment ils ont pu retrouver un nouvel équilibre à deux.

« Tu as changé, tu n’es plus le même », « Je ne sais pas quoi faire pour t’aider »… Ces phrases, on les entend souvent quand le trouble psychique vient perturber la relation amoureuse. C’est normal, car parfois le trouble emporte tout : les repères, ce qu’on a construit à deux, et l’idée qu’aimer, c’est toujours avancer dans la même direction. D’une manière ou d’une autre, le trouble modifie parfois grandement la trajectoire personnelle de celui qui vit avec, le quotidien, et peut même questionner l’amour que l’on ressent pour l’autre. Certaines personnes parviennent à surmonter les épreuves ensemble et à renforcer leur lien, tandis que d’autres choisissent des chemins différents. Mais même si cela reste difficile, chez Plein Espoir, nous sommes convaincus que ces moments sont aussi des occasions de se réinventer. Pourquoi ? Parce qu’ils nous poussent à mieux comprendre qui nous sommes, à exprimer nos limites et nos besoins, et à repenser ce que l’on veut ou peut offrir dans l’amour. La véritable question n’est donc pas de savoir si l’amour peut tout sauver, mais plutôt comment la relation peut s’adapter à ces nouvelles réalités de la vie.

Un trouble qui bouleverse tout

Juliette a 24 ans et cela fait trois ans qu’elle est en couple avec Karim. Leur histoire était simple et heureuse, jusqu’à ce que tout bascule. Un soir, après une semaine de travail intense, Karim sort avec des amis. Puis, plus de nouvelles. Il disparaît pendant deux jours. Inquiète, Juliette tente de le joindre, en vain. C’est finalement un ami commun qui le retrouve dans un bar. Il n’a pas dormi, il a pris de la drogue et se comporte de manière incontrôlable. La situation dégénère, la police intervient et Karim est conduit à l’hôpital. Là, les médecins posent un premier diagnostic : il a fait une crise maniaque et souffre très probablement d’un trouble bipolaire. D’ordinaire, il faut des années avant qu’un tel trouble ne soit identifié, les retards de diagnostic peuvent aller au-delà de dix ans. Mais dans son cas, les choses vont vite : l’un de ses parents étant déjà repéré comme tel, les médecins n’ont pas mis longtemps à reconnaître les signes.


Juliette se souvient : « Quand les médecins ont parlé de bipolarité, ça m’a fait peur. Je ne connaissais rien à cette maladie. Et puis, j’ai toujours pensé qu’il valait mieux privilégier l’accompagnement plutôt que les médicaments. Mais là, il n’avait pas le choix. » Comme beaucoup, elle imaginait d’abord que les traitements médicamenteux étaient trop lourds, qu’un suivi psychologique suffirait peut-être. Mais face à la gravité de la situation, elle comprend que Karim en a besoin pour se stabiliser. Son regard sur la maladie évolue : elle réalise que les médicaments ne s’opposent pas à l’accompagnement, mais qu’ils sont en l’occurrence une aide nécessaire pour retrouver un équilibre. Très vite, Juliette comprend qu’il ne suffit pas de savoir théoriquement ce que signifie être bipolaire : il faut apprendre à vivre avec, au quotidien. Les émotions de Karim peuvent être intenses, imprévisibles, et sans repères clairs, tout devient plus difficile. Elle réalise alors l’importance d’un cadre stable et rassurant, autant pour lui que pour elle. Des routines, des limites, des repères : tout cela l’aide à ne pas se laisser emporter par les hauts et les bas, et à préserver un équilibre dans leur relation.


Après l’épisode de perte de contrôle et le choc du diagnostic, Karim tombe dans une profonde dépression. Dans son cas, l’adaptation aux effets des médicaments est assez difficile durant les premiers mois. Les antipsychotiques, nécessaires pour le stabiliser, le fatiguent énormément. Il se sent ralenti, vidé, comme déconnecté de lui-même. Et en plus, il faut du temps pour ajuster le bon dosage, ce qui rend cette période encore plus compliquée. Après trois semaines à l’hôpital, il est transféré en clinique de repos pour plusieurs mois. Quand il en sort, il ne se sent pas capable de reprendre sa vie d’avant. Il décide alors d’arrêter de travailler, de rendre son appartement et de retourner chez ses parents. Un choix difficile, mais qui lui permet d’être accueilli dans un cadre rassurant, où il peut se reposer et essayer d’aller mieux. Juliette, déjà bouleversée par tout ce qu’il a vécu, doit maintenant faire face à un homme qui semble absent. « Parfois, il n’avait pas l’énergie pour sortir ou même me parler. Il m’a fallu du temps pour comprendre que ce n’était pas moi qu’il rejetait, mais juste qu’il allait mal. » Elle apprend à ne pas tout prendre pour elle, à accepter que Karim ait besoin de temps. Leur relation change, elle doit s’adapter. L’amour est toujours là, mais il doit maintenant cohabiter avec la maladie.


Avec le temps, Juliette réalise que la maladie a changé Karim. Même s’il reste le même, leur relation évolue avec cette nouvelle réalité. Petit à petit, elle s’adapte et se recentre sur l’essentiel : l’amour qui est toujours là. Mais ce n’est pas toujours simple. « Parfois, je ne savais pas comment agir avec lui, ni comment l’aider au mieux. » Dans ces moments-là, il est normal d’adopter un comportement différent avec son partenaire. Ces réactions sont propres à chacun. On peut choisir de ne pas en parler pour éviter de brusquer ou d’être maladroit, on peut vouloir beaucoup s’investir, comme si on avait une mission à accomplir, et parfois, on a juste besoin de prendre du recul et de s’éloigner un peu pour souffler. Peu importe la réaction, avancer ensemble demande de la force, surtout quand l’avenir est incertain.

Trouver un nouvel équilibre

Dans un couple, quand l’un des deux traverse une période difficile, une question revient souvent : que peut-on attendre de l’autre ? Au début, les partenaires essaient souvent de sauver l’autre, avant de comprendre que ce n’est pas possible. Il faut accepter qu’être simplement là, présent pour l’autre, c’est déjà beaucoup. Quand Karim est retourné vivre chez ses parents, Juliette a eu du mal à trouver sa place. Elle voulait l’aider, mais malgré tous ses efforts, elle avait l’impression que rien ne changeait. Elle lui préparait à manger, lui proposait de sortir, organisait des moments à deux. Pourtant, Karim restait distant, comme si sa présence ne faisait aucune différence. Ce n’est qu’en parlant avec un professionnel que Juliette a compris que ce n’était ni un manque d’amour ni un rejet. Sous l’effet des médicaments et encore épuisé, Karim n’arrivait plus à exprimer ce qu’il ressentait. Il avait besoin de temps pour se reconnecter à ses émotions. Même s’il paraissait distant, le fait que Juliette reste présente et prenne soin de lui était déjà une étape importante dans sa reconstruction.


L’histoire de Juliette et Karim montre que vivre avec un trouble psychique, ce n’est pas juste apprendre à gérer des changements au quotidien. C’est aussi un travail de chaque jour pour adapter la relation, trouver des solutions et avancer ensemble. Le couple évolue, et chacun doit apprendre à s’adapter. Aujourd’hui, Karim suit un traitement mieux adapté et son état s’est stabilisé. Mais l’équilibre reste fragile. « Maintenant, quand il y a un problème, on a mis en place des codes, comme des émojis pour expliquer nos émotions. Je suis vraiment contente de ses progrès, parce qu’à un moment, j’avais arrêté de sortir, je riais moins, je ne faisais plus de projets… Je sentais que ça commençait à peser sur ma propre santé mentale. »


L’année suivant la première crise de Karim, beaucoup ont conseillé à Juliette de le quitter pour se protéger. Mais elle a choisi de rester, par amour. « J’ai failli partir tellement de fois. Ça aurait été plus simple, mais je l’aime encore, alors je m’accroche. » Karim culpabilise souvent après une crise et fait tout pour aller mieux. En plus de son traitement et de ses rendez-vous chez son thérapeute, il a testé l’hypnose, la sophrologie, tout ce qui pourrait l’aider à mieux gérer ses émotions. Sa détermination donne de l’espoir à Juliette. « Si on traverse tout ça ensemble, on sera peut-être plus forts que les autres couples. Et si ça ne marche pas, au moins, on aura tout essayé. » Au début, elle était perdue, effrayée par un diagnostic qu’elle ne comprenait pas. Aujourd’hui, elle a appris à mieux comprendre la bipolarité et à s’adapter aux changements de Karim.

Surmonter les obstacles

Nous le savons, un trouble psychique peut bouleverser une relation. Il change la façon d’interagir, oblige à revoir ses attentes et redéfinit la place de chacun dans le couple. Comme l’a vécu Juliette, l’annonce du diagnostic est un choc, autant pour la personne concernée que pour ses proches. Dans ces moments-là, certains projets doivent être mis en pause : vivre ensemble, fonder une famille, voyager… Le temps de retrouver un équilibre. Mais cela peut aussi créer des frustrations, surtout quand les envies ou les priorités ne sont plus les mêmes. Ce décalage, qu’il concerne de grands projets ou des petites choses du quotidien, est parfois difficile à accepter. On aimerait savoir où l’on sera dans quelques mois, mais la vérité, c’est qu’on ne peut pas le prévoir. La seule chose à faire, c’est avancer, à son rythme, ensemble.


Ce n’est pas un secret : la communication aide à traverser les moments difficiles. Quand c’est possible, il est important de parler de ce qu’on ressent, de ses besoins et de ses limites, sans craindre le jugement de l’autre. Ouvrir le dialogue permet d’éviter que chacun se referme sur lui-même et de garder un lien fort dans la relation. Il faut aussi accepter que tout ne se règle pas du jour au lendemain. Ces épreuves sont difficiles, mais elles peuvent aussi être l’occasion de réinventer la relation. L’amour évolue, devient plus fort et plus profond, quand chacun apprend à accepter ses fragilités et à avancer à son rythme, sans pression ni reproche.


Parfois, il faut le dire, tout le monde n’a pas la force de rester, comme Juliette l’a fait. Un choix individuel qui compte aussi certains déterminants socio-culturels, ou de genre : certaines études constatent ainsi que les femmes ont six fois plus de risque de connaître une rupture amoureuse pendant un cancer ou une maladie grave que les hommes. Trouver un nouvel équilibre prend du temps et n’est jamais simple. Il y a des moments de doute, des périodes où tout semble trop lourd à porter, où l’on se demande si continuer est encore possible. Mais l’histoire de Juliette et Karim est un bel exemple de patience et de persévérance. Leur relation montre qu’on peut ajuster ses attentes, redéfinir ses projets et avancer autrement. Ce n’est pas facile, mais leur parcours prouve que l’on peut traverser ces épreuves ensemble, à son rythme, sans avoir toutes les réponses dès le départ.


Cela dit, une relation qui ne survit pas à un trouble psychique n’est pas un échec. Parfois, les chemins se séparent, et ce n’est pas une fin en soi, mais une étape. On apprend aussi de ces expériences : même avec tout l’amour du monde, certaines histoires prennent une autre direction. L’essentiel, c’est d’avoir essayé et fait de son mieux. Alors, que l’on avance ensemble ou chacun de son côté, il y a toujours une manière de se reconstruire. Ces épreuves de la vie nous aident à mieux nous connaître et à nous rapprocher de ce qui nous fait vraiment du bien.

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

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Troubles psychiques et sexualité : appréhender les variations du désir


On le sait bien : en matière de sexualité, il suffit parfois d’une journée stressante, d’une nuit difficile ou d’une mauvaise nouvelle pour que notre désir s’étiole. C’est tout à fait normal. Et souvent, après quelques jours plus calmes, tout revient doucement. Si, avec les années, on comprend que le désir sexuel n’est pas figé, les troubles psychiques peuvent accentuer ces changements parfois brutaux. En particulier quand on prend des traitements : certains antidépresseurs ou anxiolytiques peuvent avoir un impact important sur la libido. Pour toutes ces raisons, chez Plein Espoir, nous pensons qu’il est important d’aborder la question du désir sexuel avec bienveillance. Comment accepter qu’il évolue sans en avoir honte ? Comment en parler avec justesse ? Quelle que soit notre réponse, gardons en tête que même avec des troubles psychiques, il est possible d’avoir une sexualité épanouie. Cela nécessite parfois de repenser son intimité, de prendre le temps de s’écouter, de comprendre ce qui nous fait du bien et d’avoir le courage d’en parler. En tout cas, pour notre bien-être global, ça vaut vraiment le coup de prendre le temps d’essayer. 

On croit souvent que quand tout va bien, la sexualité suit. Et c’est souvent vrai : se sentir bien dans sa tête et dans son corps aide à se connecter à l’autre, à soi-même, et permet d’explorer plus facilement ses envies. Mais ce n’est pas toujours aussi simple. La libido ne dépend pas que de notre mental, elle est également influencée par notre santé physique, les hormones, ou encore nos relations. Il arrive donc de traverser des moments paisibles où le désir sexuel est absent. Rien d’alarmant à cela : ces variations sont normales et souvent imprévisibles. Plusieurs formes de désir sexuel cohabitent et sont aujourd’hui mieux reconnues, y compris l’asexualité. En revanche, quand l’esprit est envahi par les tracas du quotidien, par des pensées qui tournent en boucle, c’est plus compliqué. Et si en plus, on doute de soi, de son apparence, qu’on est agité, qu’on a des problèmes de sommeil… comme c’est souvent le cas quand on vit avec des troubles psychiques, alors on peut se couper de son corps et de ses envies. Dans ce genre de situation, il ne faut pas oublier que c’est souvent juste une façon de réagir face à une épreuve. 

Désir sexuel et santé mentale : un duo inséparable

À 45 ans, Paul (1) n’avait jamais eu de problèmes de santé mentale, ni de souci avec sa libido. Marié depuis quinze ans et papa de deux jeunes garçons, il menait une vie plutôt calme. Puis, un jour, le boulot a commencé à peser lourd. Trop lourd. Son médecin lui a conseillé de prendre du temps pour lui, mais quand son arrêt de travail s’est terminé, il a fait une crise délirante. Un soir, il n’a pas réussi à allumer son téléphone et il a oublié le prénom de ses enfants. Après trois semaines d’hospitalisation pour burn-out, les psychiatres l’ont mis sous antidépresseurs et anxiolytiques. Il reconnaît que cet accompagnement thérapeutique l’a aidé à être moins stressé et à chasser ses idées noires. En revanche, il a pris beaucoup de poids et a perdu tout désir pour sa femme. « J’ai toujours eu du désir, mais depuis que je prends des médicaments, c’est devenu super rare. Ma libido est à zéro. Déjà que la prise de poids me donne moins confiance en moi, que j’ai envie de me cacher, je vois que ça fait beaucoup de peine à ma compagne. Même si j’essaie de la rassurer, elle croit que c’est de sa faute. Que je l’aime plus. Alors que ça n’a rien à voir », nous explique-t-il.


Ce que décrit Paul n’est pas un cas isolé. Lorsqu’on traverse un moment difficile, il est fréquent de ne plus ressentir de plaisir, d’être tout le temps fatigué et de ne plus avoir de désir sexuel. Si cela est mal vécu pour tout le monde, chez les hommes, s’ajoute souvent la pression de bien faire et de performer. Malheureusement, ce poids peut accentuer les problèmes et augmenter la frustration quand ça ne fonctionne pas. « Quand j’ai perdu mon érection matinale, c’était très dur à accepter. C’était comme si, tout d’un coup, j’étais malade. Que ma vie s’arrêtait là. Je me suis caché plusieurs fois pour pleurer. Mais mon psychiatre m’a expliqué que c’était normal et que ça reviendrait quand on baisserait le traitement et que la crise passerait. Ça m’a un peu soulagé. D’ailleurs, ces derniers jours, je me sens un peu plus joyeux. Même si j’ai pas encore retrouvé de désir pour ma femme, cet apaisement me donne envie d’être plus tendre avec elle : je lui fais des câlins, je lui propose d’aller au restaurant. J’essaie de me rassurer en me disant que c’est déjà un bon début. »


Dans un monde qui valorise la performance, on entend souvent dire que, pour qu’un couple marche, la sexualité doit toujours être au top. Alors, forcément, dès que ça coince un peu, notamment à cause des troubles psy, on se sent en danger, comme si la relation toute entière pouvait s’arrêter. Mais réduire l’intimité conjugale à ce seul aspect, c’est passer à côté de l’essentiel. L’intimité, ce n’est pas que la sexualité, c’est aussi les petits gestes d’attention du quotidien, des fous rires, des sorties qui cassent la routine, ou juste du temps passé à deux. C’est tout ce qui fait qu’on se sent bien, qu’on s’attache, et qu’on a envie de rester ensemble. 

Trouver des solutions adaptées

« Je sais bien que l’intimité ce n’est pas que le sexe, mais ça dépend aussi de l’âge qu’on a, des expériences qu’on a vécu… Quand j’ai vu qu’à 27 ans, mon désir avait totalement disparu, c’était très dur », nous confie Bastien. Comme pour Paul, ces troubles psychiques ont commencé après une expérience difficile au travail. Son équilibre psychique s’est ensuite dégradé avec des problèmes d’argent et des tensions avec sa famille. Pendant plusieurs mois, il a perdu le sommeil, les crises d’angoisse sont devenues quotidiennes, et il a commencé à fuir sa copine. Il n’avait plus envie d’elle, plus envie de rien d’ailleurs. Comme beaucoup, Bastien a mis du temps avant de mettre des mots sur ce qu’il traversait. Ce n’est qu’après de longs mois de souffrance qu’il a fini par accepter l’accompagnement thérapeutique. 


Dès la première séance, le diagnostic tombe : anxiété généralisée. Sa psy lui propose alors une idée simple pour détendre la situation dans son couple, mais pas évidente à accepter : parler avec sa copine d’une pause temporaire de sexe. L’idée, c’était de lever la pression et la culpabilité qui pesaient sur lui. Elle lui a conseillé de profiter autrement de leur temps à deux : avec des câlins, des massages, de cuisiner ensemble, danser, jouer à des jeux ou simplement se blottir sous un plaid pour regarder une série. Bref, retrouver des moments complices, sans attentes ni tensions. Après une pause de quatre mois, le désir est progressivement revenu : « J’ai commencé à me faire plaisir seul, à regarder d’autres femmes parce qu’il n’y avait pas d’enjeu avec elles et puis, quand je me suis rassuré, j’ai de nouveau eu envie de me rapprocher de ma copine. Alors, j’ai toujours du mal à aller jusqu’au bout, mais rien que de ressentir quelque chose à ce niveau-là, ça me fait du bien. Je suis un peu plus confiant pour la suite », nous confie Bastien.


De son côté, Julia, qui vit avec un trouble bipolaire, a mis plusieurs années à comprendre l’impact de la maladie sur sa vie intime : « On parle souvent des hauts et des bas émotionnels, mais on ne réalise pas à quel point cela peut bouleverser l’intimité, le rapport au corps et le désir. » Diagnostiquée à 26 ans, elle a traversé des phases où son envie débordante la poussait à multiplier les expériences, parfois sans réfléchir aux conséquences : « Il y a des périodes où j’avais une énergie folle et un besoin incontrôlable de me sentir vivante. Je sortais beaucoup, je rencontrais des gens, et je ne prenais pas toujours la peine de me protéger, ni physiquement ni émotionnellement. »


Ces phases d’euphorie étaient suivies par des périodes de dépression : « Dans ces moments-là, le désir disparaît. Mon corps ne répond plus, même quand j’essaie de me toucher, je ne ressens rien. C’est comme si je n’existais plus à ce niveau. » Julia explique que ces changements de désir sont difficiles à vivre, pour elle mais aussi pour ses copains : « Beaucoup de mes copains m’ont quittée parce qu’ils ne comprenaient pas les phases que je traversais. Mais je ne l’ai pas mal vécu, parce que quand je ne vais pas bien, il n’y a plus de place pour l’autre. » Aujourd’hui, Julia semble avoir trouvé un nouvel équilibre, aidée par un traitement médicamenteux qui lui a permis d’apaiser les hauts et les bas émotionnels : « Avec mon compagnon actuel, qui vit aussi avec un trouble bipolaire, on a appris à communiquer sur nos phases. Quand je ne vais pas bien, il respecte mon besoin d’espace et ne me sollicite pas quand je n’ai pas envie. Et quand je suis trop intense, il essaie de trouver les mots pour que ça ne devienne pas trop étouffant. Avec lui, c’est différent de tout ce que j’ai connu parce qu’il me comprend vraiment. »


Même si le chemin peut être plus difficile et prendre beaucoup de temps, l’histoire de Bastien et de Julia montrent qu’accepter que le désir change quand on vit avec des troubles psychiques est un premier pas vers le rétablissement. Cela permet de se libérer du poids de la culpabilité et de la honte, des sentiments fréquents dans ces moments-là. Quand le désir pour l’autre devient plus rare, on peut être tenté de s’isoler, de cacher ce qu’on ressent ou même de fuir sa relation pour voir si ça fonctionne ailleurs. Pourtant, c’est justement à ce moment qu’il est important d’oser parler avec son/sa partenaire. Plutôt que de risquer qu’il ou elle se sente rejeté(e), on peut tenter de verbaliser les choses. « Je traverse une période difficile, j’ai moins de désir, mais ça n’a rien à voir avec l’amour que j’ai pour toi. » : ce genre de mots peut rassurer, et même si cela nous met en insécurité au premier abord, cela peut également permettre de renforcer la relation. On se soulage d’un gros poids, on assume où l’on en est et on permet à l’autre de continuer à nous choisir à nouveau, avec une communication plus fluide. 

S’affranchir des règles

Dans la vie, et encore plus quand on vit avec des troubles psychiques, il n’y a pas de mode d’emploi pour la sexualité ou le désir. Ce qui compte vraiment, c’est de trouver son propre équilibre, tout en gardant en tête que ça peut bouger avec le temps. Prenons un exemple : le désir sexuel peut s’éclipser à cause d’une dépression, d’un gros stress ou même d’un traitement médicamenteux. Mais ça ne veut pas dire qu’on n’a plus besoin de proximité ou d’affection. Parfois, on préfère les câlins, la tendresse, sans forcément passer par le sexe. Et cette manière de partager l’intimité est tout aussi précieuse. L’inverse est vrai aussi : parfois, le désir sexuel peut devenir beaucoup plus intense, comme lors d’une phase maniaque dans un trouble bipolaire, où certaines personnes ressentent beaucoup plus de désir. Quand la phase passe, il y a souvent un retour à un équilibre, avec moins d’envies. Ces hauts et ces bas peuvent être perturbants et c’est pour ça qu’il est très important d’apprendre à se connaître et savoir comment on fonctionne, avec son trouble psy. 


Après, quand on est en couple, on peut avoir du mal à vivre le fait que son partenaire ait moins de désir pour nous pendant un certain temps. Plutôt que de se sentir rejeté(e) et même si l’autre semble fermé, qu’il fuit la discussion parce qu’il a honte ou qu’il évite le problème, le mieux, c’est d’essayer d’en parler doucement, sans jugement. Quand on prend le temps de se dire que ce n’est pas une question d’amour, mais juste un moment difficile, ça change tout. 


Si on arrive à parler de nos besoins sans jugement, on peut trouver des solutions ensemble, se soutenir sans pression. Parfois, traverser cette épreuve ensemble peut même renforcer l’amour. Mais il faut aussi savoir que si l’autre ne comprend pas ou ne fait pas l’effort de parler, il peut arriver qu’on choisisse de partir. Parce qu’on mérite d’être avec quelqu’un qui respecte nos besoins, nos limites, et qui est prêt à avancer avec nous. N’oublions pas que chaque personne est différente, et surtout que la sexualité n’est pas un concours. Ce n’est pas une question de performance, mais de bien-être. Et même quand le désir sexuel semble s’éloigner pour de bon, il est toujours possible de le raviver à son rythme. L’essentiel est de trouver ce qui nous fait du bien, que ce soit seul(e) ou à deux. Chez Plein Espoir, on le sait bien, les hauts et les bas font partie de la vie, mais il existe toujours des moyens de se sentir épanoui dans sa sexualité et de trouver son équilibre, quel que soit le chemin qu’on choisit.

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

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Troubles psychiques : gérer les non-dits au sein d’une relation amoureuse


« Tu ne me dis jamais rien ! » ou « Pourquoi tu ne m’en as pas parlé plus tôt ? » Ces phrases, on les entend souvent quand on se dispute. Elles traduisent l’idée qu’une relation amoureuse devrait être un espace de totale transparence, comme si aimer signifiait tout partager. Mais la réalité est plus complexe. Si les non-dits existent dans tous les couples, leur poids peut devenir encore plus lourd quand on vit avec des troubles psychiques. Parce que parler de ses fragilités, c’est risquer de s’exposer, d’être vu autrement ou d’être mal compris. Mais le silence, à la longue, peut nous peser, nous isoler, ou nourrir une certaine honte. Chez Plein Espoir, nous pensons que ces choix – parler ou se taire – méritent réflexion : qu’est-ce qui nous freine ou nous pousse à parler à la personne qu’on aime ? Que disent ces silences sur nous et nos relations ? Et cacher, est-ce vraiment mentir ? Quoi qu’on décide, l’important est de respecter son rythme et de ne pas culpabiliser.

Cacher ou mentir : est-ce que c’est pareil ? La communication est souvent présentée comme le socle des relations sentimentales solides. Pourtant, il est fréquent que l’un des partenaires, parfois même les deux, choisissent de garder certaines choses pour eux. Ces silences, qu’ils soient volontaires ou simplement protecteurs, peuvent prendre des formes variées : du petit oubli délibéré au secret plus lourd. Mais alors, pourquoi choisir de cacher certaines informations au lieu d’être complètement transparent avec la personne qu’on aime ? Bien souvent, dans ces situations, c’est la peur qui prend le dessus. Quand il y a de l’amour et donc un enjeu, on peut redouter d’être jugé, mal compris ou même rejeté quand on montre ou qu’on parle de nos fragilités. Cette crainte est encore plus forte chez les personnes qui vivent avec des troubles psychiques.

Ne pas parler de ses troubles, une stratégie contre le rejet de l’autre

Même si la santé mentale est un sujet de plus en plus abordé dans la vie de tous les jours, les personnes qui vivent avec des troubles psychiques restent largement stigmatisées et mal vues dans la société. Un rapport de 2020 de l’OMS explique que les personnes concernées sont généralement considérées comme “imprévisibles”, “incapables” ou « à problèmes ». Et comme on peut l’imaginer, cela impacte aussi la vie amoureuse, puisque ça nourrit la peur et pousse chacun à cacher ses difficultés. Dans le podcast Plein Espoir – Vivre bien avec un trouble psy, le docteur Mickael Worms-Ehrminger revient sur son expérience des troubles des conduites alimentaires, présents dans sa vie depuis l’enfance. Il explique que, face à l’homme qu’il aime, il a longtemps préféré trouver des excuses plutôt que de parler de son trouble : plus simple de dire qu’on a bu trop de café ou qu’on stresse en ce moment pour expliquer une agitation ou un manque d’appétit. Dans son cas, ce n’était pas une volonté de cacher la vérité, mais plutôt une difficulté à trouver les mots, le courage de se confier, ou simplement d’être capable de raconter son histoire.


Par curiosité, on est allé voir sur Reddit, un réseau social où les utilisateurs partagent anonymement leurs expériences. J’ai découvert une discussion lancée par une jeune femme vivant avec un trouble bipolaire qui posait une question simple : « Est-ce que vous pourriez être en couple avec une femme ayant un trouble psychique ? » Certaines personnes ont répondu que c’était possible, à condition que la personne soit suivie et qu’elle veuille « guérir ». Mais beaucoup ont dit que ce serait trop difficile, qu’ils ne s’en sentaient pas capables, et que ceux qui répondaient « oui » ne se rendaient pas compte de ce que ça représentait au quotidien. Quand on entend ce genre de remarques dans la vie de tous les jours, cela montre bien que la méconnaissance et la peur des troubles psychiques sont encore très importants. 


Il serait particulièrement réducteur de penser que les non-dits concernent uniquement les personnes vivant avec des troubles psychiques. Selon la psychologue Claudine Biland, qui a longuement étudié la question, on peut compter environ un mensonge tous les dix échanges dans une relation établie, et un toutes les trois interactions dans une romance naissante. Après, il faut tout de même distinguer les types de mensonges. Certains sont sans réelle conséquence : c’est ce qui se passe lorsqu’on exagère un succès, qu’on cache une mauvaise habitude ou qu’on passe sous silence une anecdote embarrassante. Bref, quand on cherche à se présenter sous son meilleur jour. Mais d’autres, comme ne pas parler d’une infidélité dans un couple exclusif, de ses dettes financières ou de problèmes professionnels, peuvent avoir un impact bien plus lourd sur une relation. Et pourtant, si on peut penser que cacher un trouble psychique à son partenaire pèse nécessairement sur un couple, ce n’est pas toujours le cas. Chacun doit rester libre de choisir ce qu’il souhaite ou se sent prêt à partager avec l’autre. On n’est pas obligé de tout dire, et surtout, il n’y a aucune raison de culpabiliser. Parler de soi demande du courage et si on n’en est pas capable, ce n’est pas une faute. L’essentiel est de ne pas se tromper soi-même, de ne pas s’effacer sous prétexte de protéger l’autre.

Ne pas parler de son trouble pour faire comme s’il n’existait pas

Morgane (1) a 34 ans aujourd’hui, et elle vit avec un trouble anxieux généralisé. Ses premières crises d’angoisse ont commencé au début de sa vingtaine, après un avortement. Quand elles sont devenues quotidiennes, ses parents ont cru qu’elle devenait… folle. Ils ont même envisagé de l’interner, alors qu’elle avait simplement besoin de temps et de soutien. Marquée par ce manque de compréhension, Morgane a choisi de cacher son trouble. Elle n’en parle qu’à quelques amis proches et évite le sujet avec ses partenaires. Pour elle, garder le silence, c’est une façon de réduire son trouble, comme si l’ignorer pouvait le rendre moins important, voire le faire disparaître. Pendant des années, elle s’est naturellement tournée vers des relations sans attachement profond, où elle n’a jamais ressenti le besoin de se dévoiler. « C’était plus simple comme ça », nous confie-t-elle.


Mais cacher son trouble n’est pas toujours évident. Quand une crise survient, elle doit bien justifier son absence ou expliquer pourquoi elle préfère rester seule. Avec le temps, trouver des excuses est devenu un exercice épuisant, d’autant que ce n’est pas toujours possible. Pourtant, pour Morgane, ce choix reste intimement lié à une peur : celle de ne pas être aimée si elle montre ses fragilités. Ne pas en parler, c’est à la fois une manière de se protéger et une tentative, d’être acceptée pour ce qu’elle voudrait être, et non pour ce qu’elle est parfois contrainte de vivre.


Récemment, Morgane a trouvé la force de s’ouvrir à son copain qu’elle voit depuis plus de six mois. Elle a d’abord attendu qu’il parle de ses problèmes familiaux pour oser parler des siens. Ce jour-là, elle a tout raconté : la première crise d’angoisse et les progrès qu’elle a faits au fil des ans. « Maintenant, ça fait dix ans. J’ai appris à vivre avec, et mes crises sont bien moins fréquentes qu’au début. Mais il y a encore des situations que je ne maîtrise pas, comme prendre l’avion », explique-t-elle. Ce qu’elle retient surtout, c’est le soulagement. « Je lui ai dit comment réagir en cas de crise, qu’il ne fallait pas paniquer. Je me sens plus apaisée, comme si j’avais un allié prêt à me soutenir en cas de besoin. » Pour Morgane, ce pas en avant a été une libération et l’a aidé à avancer dans son rétablissement. Elle vivra toute sa vie avec ce trouble, mais ça ne l’empêche plus d’être épanouie.  

Éviter que le partenaire utilise le trouble comme prétexte à tout

Adrien, lui, a 42 ans. Il vit avec un trouble dépressif depuis presque vingt ans, mais il n’en parle pas. À personne. En couple depuis deux ans, il n’a pas évoqué ce sujet avec son compagnon. « Il sait que je vois un psy, mais aujourd’hui, c’est presque banal, surtout quand on a un travail prenant. Tout le monde parle de burn-out ou de charge mentale. Quand je vais mal, je dis simplement que je suis un peu stressé ou fatigué. Je ne donne pas plus de détails », raconte-t-il. Depuis qu’ils sont ensemble, Adrien n’a pas connu d’épisode dépressif majeur. Les moments difficiles restent dans l’ensemble assez gérables, et il parvient à les masquer. Ce silence, c’est un choix réfléchi : « Chacun a ses petits secrets, son jardin privé. Je ne vois pas l’intérêt de tout partager. Peut-être que si on s’installait ensemble, je me sentirais prêt, puis il me verrait prendre des médicaments, mais pour le moment, ça n’a pas sa place. »


Ce besoin de cacher cette part de lui trouve son origine dans une mauvaise expérience. Adrien a parlé une fois de son trouble, c’était avec la personne avec qui il est resté dix ans. Il lui raconté ses journées passées au lit, ses idées noires dans les pires moments. Mais très vite, ça s’est retourné contre lui. « À chaque dispute, il me disait que c’était moi le problème, que j’étais malade, pas normal, que mes problèmes étaient impossibles à gérer. J’ai regretté d’avoir fait confiance. »


Après cette relation, Adrien a décidé de se taire. Parler de sa dépression, c’était offrir à l’autre une arme qu’il pourrait utiliser contre lui. « Avec mon copain actuel, c’est différent. Je pense qu’il serait compréhensif. Mais une fois que c’est dit, on ne peut plus revenir en arrière. Il y a toujours un risque. Alors, j’attends. » Pour l’instant, Adrien trouve un équilibre dans cette discrétion. « Ce n’est pas toujours facile, mais j’ai appris à gérer mes moments difficiles tout seul. Et puis, je me dis que tout le monde a ses « casseroles ». Moi, c’est celle-là, je fais avec. »

Se sentir libre de parler ou de garder des choses pour soi

Les non-dits existent partout, que l’on vive ou non avec des troubles psychiques. Parfois, garder le silence est un réflexe de protection, mais au bout d’un moment, cela peut aussi devenir difficile à porter. Dans une relation naissante, ce silence peut peser, surtout quand on se pose cette question : « Est-ce que je suis en train de mentir à l’autre ? Est-ce qu’il me le reprochera plus tard ? » Ce doute peut nous empêcher de nous engager, de bâtir quelque chose de durable. Mais se mettre à nu, c’est aussi prendre un risque. Celui d’être rejeté ou, comme cela a été le cas pour Adrien, que l’autre utilise notre différence contre nous.


Chez Plein Espoir, on croit que le choix de parler ou de garder certaines choses pour soi appartient à chacun. Ce qui compte, c’est de savoir pourquoi on fait ce choix. Parfois, se demander ce qui freine l’envie de parler peut ouvrir la porte à des réactions inattendues, à cette sensation précieuse d’être aimé dans toute sa vérité. Mais si le silence nous protège et qu’il reste léger à porter, il est aussi légitime de vouloir se préserver. L’essentiel, c’est de trouver son équilibre, d’être en accord avec soi-même, et d’accepter que chaque parcours est singulier. Parce qu’au fond, que l’on choisisse de parler ou de se taire, l’important est de ne pas fermer la porte à l’idée d’être, un jour, agréablement surpris par l’Autre.

(1) : Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées.

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